Le concept store des Mâles Propres Toulousains

Temps de lecture : 3 minutes

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Les enseignes toulousaines recèlent quelques perles… GRIS-PERLE

qui sentent bon « La Terre de Pastel – Le boudoir par Nature »… EN MINIATURE.

Dans cette ville, gérée il y a fort longtemps par les Capitouls…MABOULES

un grand voile de tissu masque présentement la réfection de l’hôtel de ville…FOSSILE

offrant à la méditation du passant ce texte subséquent…FORT ÉLOQUENT :

« Dédié à Messieurs les Capitouls »…MABOULES

« Parleur très humble et très obéissant serviteur Camas »…SAGACE.

Ailleurs, « La Rhumerie en cale sèche »…LA DèCHE

délie les langues de nos beaux hâbleurs toulousains…UN QUART SARRASIN

100 % rugbymen dans leurs tripes…STEREOTYPE.

Ici le rugbyman est talonneur…C’EST TOUT A SON HONNEUR.

Nombre de lieux prennent soin de ces mâles au tempérament bien trempé…VOIRE DISSIPé

compatible avec une coquetterie inscrite dans leur génome…POLYCHROME.

« L’Institut d’Expertise Capillaire » leur assure, par des soins personnalisés…ET AVISéS

un cuir chevelu et des moustaches pérennes…QUELLE VEINE !

« Se dépasser – Se surpasser » dans le Fitness Park…SANS PARQUES

c’est bien l’hygiène de vie de nos rugbymen en herbe…IMBERBES

pour se transformer et coller à la vision de leur modèle du Stade Toulousain…VOISIN.

Il est un lieu, à la devanture modeste, qui cache bien son jeu…MORBLEU !

« Le concept store des Mâles Propres »…AVEC AMOUR-PROPRE.

Tout ce que notre Mâle toulousain désire…AVé PLAISIR

est là, à sa portée, en un simple clic…ACROBATIQUE.

Imaginez un peu des produits sublimes pour sa moustache…BRAVACHE

ou des soins divins pour son corps…DE STENTOR !

Sachez que notre Mâle toulousain a l’âme particulièrement sensible au bel canto…ANIMATO.

Il chante souvent dans plusieurs chorales….LOCALES

un répertoire éclectique (la Renaissance, troisièmes mi-temps de rugby, variétés)…DIVERSITé

avec un penchant pour Claude Nougaro, Sandoval ou Big Flo & Oli…NOS CHÉRIS

qui ravit les cœurs des toulousaines…ZEN.

Il a un don pour raconter tout événement avec passion…ET DÉLECTATION

d’un accent chantant…VOIRE ENVOÛTANT

usant d’un vocabulaire imagé…BIEN FORGé

ponctuant ses phrases de « putain con »…CON !

s’exclamant de « ooOOOH Con »… ou de « Boudu CON » !

Ici, on s’espante (*) entr’amis ou en famille…OUI MA MIE

à qui racontera le plus bel exploit…QUI SOIT.

Notre Mâle Propre toulousain est aussi poète à ses heures…QUEL BONHEUR !

L’Académie des Jeux Floraux (en occitan Acadèmia dels Jòcs Florals)…THÉÂTRAL

est une des neuf sociétés savantes toulousaines…BALIVERNES

qui récompense chaque année les auteurs…PLEIN DE COEUR

des meilleures poésies en français et en occitan…EXALTANT!

Cette année, le thème est « Clair de Terre »…J’EN TOMBE A TERRE!

« Bou-hou-hou-Du! Que vais-je raconter, con!

Et pourquoi pas Clair de Jupiter, tant qu’on y est…POIL AU NEZ!« 

Ayez confiance, cher lecteur de ce délire…A EN PÂLIR.

L’inspiration ne manque jamais à notre sympathique Mâle Propre toulousain, prenant soin de lui, rugbyman, chanteur, poète de surcroît…OUI MA FOI.

Il consacre une partie de ses activités professionnelles… EN RITOURNELLES

à des objets truffés de capteurs…EXPLORATURS

qui s’arrachent de la gravité terrestre…LEGS DE SES ANCÊTRES.

L’aventure humaine des pionniers de l’aéropostale…AVEC SUR SON PIEDESTAL

Saint Ex, Guillaumet, Mermoz et leurs camarades…NOMADES

a bercé tous les petits toulousains qui prennent à coeur…EN AMATEUR

de poursuivre cette aventure…EN CLAIR OBSCUR

ou relèvent des défis à vous espanter…VOUS DEROUTER

en ayant pour preuve des satellites ou des fusées….TRÈS PRISéES.

Cela forge un esprit de persévérance, de fraternité, de respect et d’humilité, con!

(*) traduction pour les non toulousains du verbe « espanter » :

signifie surprendre, ébahir, épater, sidérer quelqu’un par une action, un fait relaté, ou un exploit.

Avec toutes mes excuses aux Mâles Propres Toulousains.

Commentaire :

Profitant d’un rendez-vous chez mon ophtalmo à Toulouse j’ai noté les noms des enseignes sur mon chemin. J’ai accumulé ainsi des bouts phrases (comme « La maison du vélo » – « le vélo sentimental » ou « Prép’art – la prépa privée aux écoles d’art publiques »), sans savoir a priori ce que j’en ferais jusqu’au moment où, dans la rue de l’ophtalmo, je tombe sur l’enseigne vieillotte d’une toute petite devanture

« Le Concept Store des Mâles Propres – Comme chez lui (soins pour hommes) ».

Il m’a semblé que je tenais peut-être là un début de récit. Mais comment le rattacher à la consigne ?

J’ai parcouru avec beaucoup de gourmandise le site des oulipiens en essayant de trouver ma consigne : ponctuer les propositions avec des rimes : solution de facilité, je l’affirme.

Au fil de l’écriture, je me suis souvenue d’un jeu d’enfant, en voiture, où nous rajoutions, mon frère, ma sœur et moi, des « poil au … » pour ponctuer en rimes les fins de phrases de mes parents. Cela finissait toujours mal. Cela

avait le don de les agacer. Il fallait se taire jusqu’à la fin du trajet. Nous mimions alors les mots, ce qui était encore plus rigolo, poil au dos !

Brigitte DANIEL ALLEGRO

Castelnau d’Estrétefonds, le 18 août 2020

Battements du cœur, battements du temps

Temps de lecture : 4 minutes

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1

Frôlement sur l’épaule. Je lève le bras. Les filets d’air se divisent, contournent et enveloppent mon bras pour se reformer plus loin. Les larges feuilles du mûrier platane s’agitent. Dans le jardin, bercée par le balancement du hamac, je goûte cet instant de calme et capte des bribes de perception.

Flo & So dans la pataugeoire avec Arthur qui babille. Les voix changent de timbre près de l’eau, plus aigus et toniques.

Il doit être 18h. J’entends « la Toune », la tourterelle de mes voisins, qui se manifeste en fin de journée.

Le bruissement du vent dans les branches des arbres me parvient par vagues successives : le souffle léger prend de la vigueur puis s’estompe, silencieux. La vague suivante arrive, presqu’à l’identique cependant différente de la précédente. Je pense à la série « Ombres & Lumières » de panneaux textiles.

Le couple d’hirondelles, venu nicher sous le toit de la grange, s’occupe activement de sa progéniture. Je suis attendrie et attentive au cours de chant. Je distingue la mélodie des parents de celle, plus hésitante, des oisillons. Fascinant !

2

« Allons ma petite chérie, tu rêvasses ? A toi de jouer »

La pendule sonne une demi-heure. J’aime le battement régulier du balancier que j’associe à ma grand-mère. Je suis assise à la table ronde du séjour. La pièce, de « style provençal », réunit la comtoise, le coffre à pains, l’abat-jour posé sur un guéridon, la table et ses chaises. Elle sent bon la cire d’abeille que j’associe à mes vacances chez Mamy Jeanne.

Je suis seule avec ma grand-mère que j’aime tendrement.

Nous jouons aux cartes, invariablement au rami ou au huit américain, appris quand j’étais petite. C’est le moment où je passe en revue son visage que je trouve si attachant. Elle a un grand front, un regard vif traversant ses grosses lunettes, un grand nez bossu, une toute petite bouche qu’elle maquille de rouge le matin et après-déjeuner. Je me demande l’utilité de ce rouge dont il reste peu de chose en un rien de temps. Le rouge file le long des sillons autour de sa bouche. Drôle d’étoile dans son visage !

Sa petite coquetterie, le parfum qu’elle vaporise sur ses poignets au coucher, qui fait partie d’elle, que je reconnais entre tous, « l’Air Du Temps » de Nina Ricci.

Mamy est ma référence, un guide, un modèle. A 20 ans, j’admire sa force de caractère, ses capacités d’adaptation et son goût sans faille pour la vie. Ses atouts lui ont permis de surmonter un chemin entravé d’aspérités et d’obstacles plus ou moins douloureux, tout en restant ancrée dans ce qui lui est essentiel, une famille unie et curieuse de tout. Veuve à 30 ans, trois enfants en bas-âge, elle les a élevés seule grâce à son métier d’institutrice. Quinze ans plus tard, le petit appartement loué à Bizerte est bombardé et réduit en ruines. Heureuse d’être encore en vie avec ses trois filles, elle quitte la Tunisie pour un point de chute à Grenoble. Dans les bagages, son père et un rescapé, le séjour de « style provençal ».

3

A cet instant, je prends conscience que les cycles, les battements du temps, le rythme, participent à mon goût pour la vie. J’aime l’inattendu et adopte volontiers les chemins de traverse qui pointent vers une découverte d’autres environnements, culturels ou spatiaux.

Ma famille, toujours au centre de mes préoccupations, m’a fait naître et grandir. Merci. Je lui en suis reconnaissante. Les rôles ont basculé au fil des ans. Fêtes de Noël et événements familiaux déplacés chez nous. Ces dernières années, maman est devenue « ma fille ». Révélation, acceptation du cycle inéluctable de la vie. Réflexions sur l’évolution des relations au cours d’une vie, sur la circularité des rôles. Pas facile !

Précieux liens d’amitié. Ils sont le piment qui me déloge de la routine : livres échangés, randonnées, musique, repas élaborés ou pique-nique, tout est prétexte à se retrouver, pour le plaisir de refaire le monde.

Je m’aperçois que je suis particulièrement réceptive à tous les rythmes. Ils m’imprègnent, ils me font vibrer : piano classique, clavier dans un groupe de rock, élève dans un groupe de danse de flamenco.

Partager la danse ou la musique me fait approcher l’intangible, l’immatériel, l’indicible. Sentiment d’être un élément d’un organisme vivant qui a sa propre vie et qui agrège, en continu, les rajustements de chacun aux autres pour un résultat imprévisible, unique.

L’écoute et l’attention de chacun à ce qu’on réalise ensemble dans l’instant et dans la dynamique sont jubilatoires. Aucun mot pour décrire ce ressenti.

4

Au mouillage en Corse. Depuis le pont arrière du catamaran je me laisse glisser dans l’eau cristalline et nage jusqu’à la plage de sable clair. Jaime sentir la mer résister puis coopérer pour me faire avancer. L’eau redevient calme.

Elle a le goût du sel qui me rappelle le mois de vacances, petite, chez ma grand-mère paternelle, en Méditerranée. L’autre mois se passait à Grenoble, chez Mamy Jeanne.

Je joue sur la plage avec mon petit-fils Louis. Nous construisons un « méga château de sable ».

Les vaguelettes nous lèchent les pieds. Une vague plus vigoureuse nous surprend et détruit en un instant notre terrain de jeu. Louis tape des pieds sur les traces de l’écume, dans le sable mouillé, pour exprimer sa colère contre cette « méchante vague ». Je prends Louis dans mes bras et le berce en lui fredonnant la mélodie de « La petite cantate » de Barbara, sa chanson.

Nous sommes interrompus par des bruissements dans les fourrés. Le bruit enfle. Débarque sur la plage un troupeau de vaches. Louis a peur, oublie la vague, s’accroche à mon cou et me serre très fort. Il se détend quand le troupeau disparaît derrière la dune, laissant derrière lui des effluves d’étable.

Sur le petit visage lisse et rond de Louis, les larmes ont laissé des traces blanches, salées.

Je pense à ma grand-mère. Je suis fière des sillons qui creusent mon visage.

« Allez grand-mère, viens faire la course avec moi jusqu’au rocher ».

Brigitte DANIEL ALLEGRO

Castelnau d’Estrétefonds, le 11 août 2020

Laissez parler les p’tits papiers

Temps de lecture : 4 minutes

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« Qualification idéale pour personnes créatives adorant jouer avec les textiles! Vous développerez les connaissances théoriques et les savoir-faire utiles pour une carrière dans le secteur du textile. ». Ces mots, imprimés sur ce p’tit bout de papier ramassé dans un musée du textile, m’interpellent.

Je n’en crois pas mes yeux.

Depuis trois ans je cherche une formation alliant beaux-arts et tissus, pour le seul plaisir de créer des panneaux textiles avec mes doigts, mes mains. Ce p’tit papier recèle-t’il la pépite recherchée ? Je relis le texte à haute voix, prenant mon mari à partie.et téléphone depuis la voiture, sur le trajet de retour à la maison.

« Isabel’s speaking ! » Dans ma confusion, je n’ai pas remarqué que j’appelais en Angleterre, un dimanche. Isabel dévoile la formation « City&Guilds » qui s’impose depuis le Moyen-Âge chez nos voisins anglais. Prisée par les artisans et les artistes, elle est reconnue dans le monde professionnel du textile. Je n’envisage pas de changer de profession mais le contenu de cette formation correspond tellement à ce que je recherchais !

Mon mari hausse les épaules.

« Pas pour toi ! Tu ne vas pas changer de boulot à 45 ans. ».

Isabel poursuit le lever du voile. Les bases du design (couleur, forme, ligne, texture, volume) s’acquièrent à partir de sources d’inspiration historiques et contemporaines et par l’exploration d’environnements familiers ou inconnus. Les cinq réalisations (décor intérieur, accessoire de mode, tenture murale, objet en 3D, projet personnel libre) permettent d’appliquer les connaissances tout en jouant sur le contraste, l’équilibre, les proportions,etc. Deux ans sont requis. Cest long ! Si seulement c’était compatible avec ma vie professionnelle.

Isabel devance ma question. Pour les personnes en activité, elle a reformaté les cours hebdomadaires en six semaines en pension complète avec la tutrice, à 600€ la semaine. Le travail personnel se poursuit chez soi, à son rythme.

Je n’en crois pas mes oreilles, cela devient envisageable!

« Trois semaines sur cinq de congés, d’autant que les enfants apprécient les vacances entre copains. » Mon mari hoche la tête.

Trop tard, le mirage me séduit déjà.

Isabel poursuit. La deuxième partie, l’accompagnement artistique personnalisé, demande trois ans de plus et aboutit à un chef-d’œuvre évalué par une équipe d’artistes internationaux. S’il est retenu pour l’exposition internationale de Birmingham, c’est l’opportunité de s’engager dans une aventure.

J’adhère pas à pas aux paroles d’Isabel et rejette le clignotant qui m’alerte sur la phase cruciale du programme dans lequel je suis impliquée. L’A380, symbole de défis pour nous, ingénieurs, pompe toute notre énergie depuis des années. Je ne peux pas laisser tomber mon équipe de 150 personnes en France, mes homologues européens, mes collègues. Nous devons nous serrer les coudes, préparer les essais en vol, les exploiter. Cela signifie qu’il n’y aura plus de week-ends dans cette phase de mise au point.

Mon mari se retourne vers moi.

« Tu es ingénieur. Tu ne peux t’absenter pour des chiffons.

Tu sais que le programme est hyper tendu. De toute façon, tu ne seras jamais artiste. »

Moi, de réputation souple et posée, qui accepte les missions de « pompier » dans mon entreprise, sans jamais compter mes heures, je me surprends rebelle à 45 ans.

«Eh bien justement ! Parlons des loisirs peau de chagrin, des astreintes du WE, joignable mêmeen vacances : il n’y a plus plus de vie hors des avions. Par ailleurs, les enfants me le reprochent trop. J’ai besoin d’avoir une bulle d’oxygène, à moi.»

Mon ego, révolté, m’a donné le sursaut suffisant pour faire taire mon cerveau raisonnable.

Isabel en vient aux dates d’inscription. Il reste une place dans la session d’octobre.

Ma décision est prise, je m’inscris.

Le lundi, au service du personnel je demande un congé pour convenance personnelle. Mon RH ouvre grand ses yeux. « Pas vous, Ariane. Pas maintenant ! Est-ce que quelque chose ne va pas ? »

Stupeur, incompréhension de mon entourage, collègues, amis, famille. Personne ne saisit mon audace, personne ne peut imaginer ce pas de côté pour explorer un autre chemin, moi la « matheuse, la bête à concours, la raisonnable que l’on consulte pour donner son avis sur tout et surtout n’importe quoi !».

Je tiens bon.

J’ignorais que ce p’tit papier bouleverserait ma vie.

En octobre, je bascule dans un autre monde. Regard interrogateur de mon entourage. Je persiste.Trois ans plus tard, j’accroche « Peau sur Peau » à Birmingham.

Que de rencontres improbables d’artistes! Que d’amitiés originales et fidèles !

Le langage du fil, les gestes ancestraux de broderies ou de teinture ont mis en lumière d’autres clés de communication. Le rapport au temps, rythmé par des gestes a repris une valeur humaine, mémorisée dans les objets. Les liens tissés avec des personnes, en laissant les fils s’exprimer, font goûter à l’universalité de l’art.

Les broderies Yi en Chine, livre ouvert sur ce peuple, pour qui sait décoder les méandres des fils.

Les indiens Kuna du Panama, d’apparence masculine, avec une sensibilité féminine, sont appréciés pour leurs Mola. C’est fascinant de superposer des couches de tissus, de les creuser pour les faire réapparaître sous forme de créatures imaginaires. Métaphore de la couche supérieure, côté superficiel de la vie, avec la dernière, la plus profonde, la plus intime voire spirituelle.

Quels préceptes de vie!

Ma rencontre avec Michèle Odeyé-Finzi, anthropologue partageant l’univers des Dogon du Mali, a été l’occasion de discussions passionnantes où elle raconte ce peuple, ses coutumes, sa cosmogonie, ce qui « nourrit le sens, les sens, continûment à l’œuvre de tous vers tous, de tout vers tout. » [Extrait de son livre « dogon doumbo doumbo »]

« Laissez parler les p’tits papiers, à l’occasion papier chiffon »

Brigitte DANIEL ALLEGRO

Castelnau d’Estrétefonds, le 7 août 2020