La première lampée de bière

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C’est la seule dont on ne se vante pas. Les autres, de plus en plus bouffonnes, de plus en plus cabotines, ne donnent plus d’apitoiement tiédasse mais à l’inverse une exubérance enjôleuse. La dernière, peut-être, retrouve avec la désillusion de finir un semblant de gloire ostentatoire.

La première lampée, pourtant ! Ça commence bien avant le gosier. Sur les lèvres déjà cet or mousseux, fraîcheur amplifiée par l’écume, puis lentement sur le palais un leurre rimailleur tamisé de formules. Comme elle promet d’être bouffonne, la première lampée ! On l’engloutit de suite avec une curiosité pleinement récréative. En fait, tout est écrit : la lampée, cet excès, qui rend l’amorce effrontée, le bien-être immédiat ponctué par un sourire fat, un mot sur le bout de la langue ou un calembour qui les vaut, la sensation indéniable d’un plaisir élixir qui s’ouvre à l’infini…

En même temps, on devine déjà. Tout le meilleur est à venir. On repose sa chope, et on l’éloigne même un peu sur le petit carré buvardeux. On savoure le potentiel des calembredaines, balivernes et parodies goûteuses. Par tout un rituel d’ivresse et d’arrogance on voudrait maîtriser le miracle qui vient à la fois de se produire et de se révéler. On rit avec jubilation du nom précis de la bière écrit sur la paroi du verre. A cet instant, contenant et contenu peuvent s’interroger, se répondre en palindromes, contrepèteries et jeux de mots. On aimerait conserver le secret de l’or pur et le consigner dans des formules. Mais devant la petite tache blanche éclaboussée de soleil, l’alchimiste farfelu soigne sa prestance, et boit de plus en plus de bière avec de plus en plus d’enchantement. C’est un rimailleur désinvolte qui fait ribote pour sublimer sa dernière lampée.

Brigitte DANIEL ALLEGRO

Castelnau d’Estrétefonds, le 4 octobre 2020

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