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Des bruits circulent au sein de l’industrie aéronautique RENACLE sur les successeurs du PDG Pierre Fort. Lors de ses vœux au personnel, Pierre présente enfin son poulain Antoine Exup, qui a déjà les faveurs des employés comme des syndicats. Ancien pilote d’essai, Antoine est du sérail, ayant fait ses preuves dans différents sites du groupe. Estimé par les pilotes des compagnies aériennes, Antoine jouera un rôle clé pour les impliquer dans le nouveau projet d’avion. Posé, énergique, il a cette rare intelligence des hommes et des organisations.
Ce matin Antoine quitte son domicile au volant de sa nouvelle voiture de fonction. Il goûte la campagne toulousaine, ses champs de maïs et de tournesols. Il est séduit par le confort de ce petit bijou truffé d’électronique. Pour tester la conduite assistée, il sélectionne le contrôle automatique de trajectoire sur la grande ligne droite entre Grenade et Seilh. Brutalement la voiture fait une embardée et s’encastre dans un arbre. Antoine meurt sur le coup. Choc terrible pour sa famille, pour Pierre Fort et le milieu aéronautique.
Pierre fait rapatrier la voiture dans le garage de RENACLE qui entretient la flotte de véhicules de services.
Les rumeurs reprennent quant à sa succession mais Pierre ne précipite pas sa retraite : neuf ou douze mois, peu importe, il a besoin d’apprivoiser l’absence d’Antoine. Il éconduit avec écœurement tous les flatteurs qui cherchent à le côtoyer. Il a l’intuition qu’Antoine a été tué. N’arrivant pas à se débarrasser de cette idée fixe, il se rend chez son ami Max, détective privé, pour lui faire part de ses préoccupations.
– Si je comprends bien, la voiture accidentée est à RENACLE. As-tu des moyens d’investigation ? demande Max.
– Oui, bien sûr. Nos labos d’essai pourraient faire parler l’équivalent des boîtes noires des avions, dit Pierre. Nous sommes experts dans le domaine. Je mets à ta disposition un technicien, une super pointure, qui a un don pour scruter, corréler, observer, recouper. Un détective comme toi, qui s’intéresse aux données et aux événements, investigue et dénoue les petits incidents comme les catastrophes, rajoute Pierre.
Suite à cette première discussion, Max fait intervenir la Police Scientifique pour procéder à des relevés et des analyses classiques sur la voiture : empreintes digitales, cheveux, salives, ADN. Une coopération fructueuse s’installe entre le labo et la Police Scientifique. Si bien que quelques jours plus tard, le technicien du labo identifie le virus informatique qui a déclenché la sortie de route, à l’heure pile où l’accident s’est produit. Les analyses et le mode opératoire du virus, informations capitales fournies par le technicien, permettent à la Police Scientifique de remonter la trace du hacker, un jeune homme de 23 ans. Max le met sur écoutes téléphoniques et le fait suivre. Son casier judiciaire est vierge. Le jeune a créé sa boîte de web design, il a une vie sociale de son âge et se rend très souvent chez un ami, le fils de M et Mme Nabot, les deux jeunes se fréquentant depuis le collège.
Max, tenant une piste entre les mains, se rend chez Pierre pour faire le point.
Pierre sursaute:
– Nabot, Claude Nabot, oui, bien sûr ! 1,60 m, 55 kg tout mouillé, oreilles en éventail, dents longues et ambition démesurée. Patron d’un de nos fournisseurs, une boîte d’électronique, il ne fait l’unanimité ni chez lui, ni chez nous. Obnubilé par l’argent avec un goût indécent pour les hauts salaires. Aucune chance qu’il me remplace, la boîte ne pourrait jamais satisfaire ses prétentions salariales.
– Nabot a sûrement un intérêt pour reluquer ton poste, dit Max.
Pierre repense alors aux obsèques d’Antoine et aux courtisans sortis de l’ombre. Parmi eux, ce Nabot, qu’il n’a jamais pu sentir, faux jeton, imbu de sa personne, d’une ambition malsaine qui a eu le toupet de se faufiler dans la foule et de l’interroger sur sa succession.
Pierre revient à la question de Max.
– Quel intérêt ? Patron de RENACLE qui tient en respect son concurrent américain ! Une sacrée promotion pour Nabot qui vise la cour des grands.
Max rappelle à Pierre que Nabot s’est entouré de relations de tous bords politiques, auprès d’industriels, de médias et même d’une loge maçonnique. Antoine éliminé, il a le champ libre pour se hisser où il veut à ses conditions.
– Est-ce que le hacker a été téléguidé par Nabot pour introduire le virus ? Connaissait-il les mobiles ? interroge Pierre.
– A ce stade, tout ce que je peux certifier, c’est que d’une part Nabot et le jeune communiquent très souvent, d’autre part, le virus a été introduit par le jeune dans un logiciel et enfin que ce logiciel vérolé réside dans un équipement électronique portant les empreintes de Nabot. Il faudra une confrontation judiciaire pour éclaircir tout cela, répond Max. Puis il ajoute: Pierre, tu dois porter plainte en te constituant partie civile. On ouvrira à ce moment-là une information judiciaire permettant deux gardes à vue, celle de Nabot et celle du jeune. Pour la suite, ça dépendra des aveux.
Pendant sa garde à vue, Nabot reste impassible devant un faisceau de faits : un trou dans son agenda, juste avant la livraison de la voiture à RENACLE ; ses empreintes digitales, ses communications avec le jeune hacker. Il s’installe dans un mutisme qui le dessert passablement. Ce n’est que lorsqu’il est confronté au jeune qu’il craque et lâche le morceau.
Le jeune a bien introduit un virus dans le logiciel fourni par Nabot, un soi-disant logiciel de simulation d’ordinateur de bord, qui aurait permis de mettre au point les auto tests des voitures. Le jeune est sidéré par la manipulation dont il a été l’objet. Il a vite été libéré.
Quand à Nabot, il est toujours sous les verrous, 10 ans après les faits.
Brigitte DANIEL ALLEGRO
Castelnau dEstrétefonds, le 29 janvier 2021