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Sabine et moi, couple de spationautes, avons débarqué sur la planète Chimère en 2050.
A l’époque, l’humanité avait généré un nombre considérable de déchets spatiaux : plus de 130 millions de débris gravitaient déjà autour de la Terre en 2020. Alors qu’aucun projet de dépollution n’avait abouti, on démultipliait les satellites de communication. Le risque de collision avec la Station Spatiale Internationale (ISS) augmentait chaque jour. Le syndrome de Kessler,plus prosaïquement, le risque de collisions en chaîne entre les débris et les satellites, mettait en péril l’humanité. Le modèle de Kessler prédisait en effet que les débris spatiaux percuteraient la Terre et conduiraient à l’éradication de l’humanité.
Ce scénario catastrophe avait été considéré par l’équipe de l’ISS, aussi, Sabine et moi étions préparés à la mission de sauvegarde de l’humanité.
Le 30 juin 2050, Sabine se concentrait sur des expériences de biologie cellulaire dans le labo de l’ISS et j’étais en communication avec la NASA quand la liaison s’arrêta brutalement. A cet instant, les alarmes « Procédure Kessler / Opération Survie », « Panneau solaire n°3 inop » étaient sans appel. Nous nous sommes réfugiés dans la capsule de secours. L’ordinateur de bord, Vigie, a initié l’Opération Survie.
Quand nous avons traversé sans dommage l’enveloppe des débris, Sabine s’exclama:
– Paul, regarde cette pollution ! Je n’aurais jamais pu imaginer que la terre était à ce point prisonnière de ses déchets spatiaux. Quel gâchis ! Nous nous sommes sabordés !
En un rien de temps, nous avons rejoint Chimère, hors de la voie lactée.
Je m’accroche à mon journal pour survivre :
« 31 décembre 2050 : dès notre arrivée, Vigie, capte les lignes de force de l’univers, saisit ses pulsations et crée de la matière grâce à cette énergie, en réalisant une bulle de vie pour nous deux. Certains robots nous fournissent de l’air et de l’eau, d’autres robots, sportifs, musiciens, danseurs ou comédiens entretiennent un simulacre de vie sociale en apesanteur. L’alternance de jours et de nuits rythme notre quotidien, comme sur Terre, à ceci près qu’une année ici correspond à dix ans sur Terre. Hors de la bulle, nous portons une combinaison pour nous protéger du milieu très agressif : absence d’atmosphère, chaleur ou froid excessifs, sol aride et accidenté.
Mai 2060 : Sabine se réfugie dans l’élaboration d’une cartographie de la portion d’univers que nous voyons depuis Chimère. Elle me fait de plus en plus souvent part de sa détermination à ne pas appliquer le « plan sauvegarde de l’humanité » : trop de responsabilité, pas assez confiance dans la sagesse des hommes. Son objectif est de retourner sur Terre.
Juin 2080 : Sabine s’efforce de plus en plus à faire du sport. Je me rends compte qu’elle perd patience facilement, qu’elle a du mal à poursuivre ses recherches, qu’elle a la tête ailleurs. En effet, l’Opération Survie nous demanda d’attendre 50 années terrestres (cinq années biologiques pour nous) avant de tenter une mission de reconnaissance. Pour ma part, je tiens encore le coup.
1 mars 2100 : j’arrive à un état de saturation et supporte de moins en moins nos conditions de vie sur Chimère. Je ne pense plus qu’à notre retour sur terre.
10 mars 2100 : date décisive. Le premier sondage de la terre est programmé ; analyses de l’air, de l’eau et du sol. L’enjeu est que nous puissions enfin revivre sur Terre.
15 mars 2100 : le vaisseau spatial est prêt. Reste les procédures à répéter. Sabine reprend espoir.»
Ce 30 juin 2100 nous quittons la base de lancement de Chimère.
Tout se passe comme prévu jusqu’au moment où, après avoir traversé la Voie Lactée, des alarmes clignotent et alertent sur un problème d’énergie compromettant toute la mission. Que décider ? Sabine et moi avons été formés aux procédures de « Dernier Secours Énergétique ». Je mets le vaisseau sur batterie de secours puis débranche les robots de gestion automatique de l’énergie, l’un après l’autre, pour observer à chaque étape l’état du vaisseau. Stupeur après le délestage du troisième robot : le système de gestion des alarmes identifie un défaut de configuration. En le débranchant puis en le rebranchant, le robot se réinitialise et l’alarme disparaît. C’étaient des fausses alarmes. Nous poursuivons la mission.
Quelle émotion quand la Terre apparaît au loin, bleue, solitaire, fragile, précieuse.
– Regarde, l’enveloppe de pollution a disparu ! C’est incroyable Paul !
Nous nous faufilons dans le module d’atterrissage pour nous poser sur une île du Frioul en face de ce qui était Marseille en 2050. Aujourd’hui, pas de trace apparente d’humains. La végétation s’accroche et recouvre les anciennes constructions d’une ville fantôme. Nous commençons à prélever des échantillons et puis …..ZUT !!! Au diable le plan Kessler.
Nous enlevons nos combinaisons et emplissons nos poumons d’air marin. Un bonheur illumine le visage de Sabine. Nous retrouvons les sensations agréables de la gravité et sentons notre énergie circuler dans nos corps. Nous courons jusqu’à une plage et entrons dans l’eau. Quel bonheur de nager, de revenir sur la plage, de s’éclabousser, de goûter au sel de l’eau. Je prends Sabine dans mes bras.
Nous sommes enfin de retour.
Brigitte DANIEL ALLEGRO
Castelnau d’Estrétefonds, le 8 avril 2021