Dialogues entre Dédale et Icare – Un rêve en fusion

Temps de lecture : 4 minutes

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Minos avait condamné à l’exil Dédale l’ingénieux, pour avoir favorisé les amours coupables de Pasiphaé, sa femme, avec le superbe taureau blanc sorti de la mer. Dédale purgeait sa peine sur une petite île, avec son inséparable fils Icare. Il cherchait un moyen pour s’évader de ce bagne. Un jour, alors qu’il observait les oiseaux, il appela son fils :

– Viens, Icare, viens regarder ces oiseaux ! observe-les voler ! tu vois comme ils plongent ! et là, tiens, celui-ci décolle, dit Dédale en pointant du doigt un héron. Regarde comme il s’élève lentement dans l’air.

– Oui, et alors ? fit Icare, levant la tête vers son père, chacune de ses mains questionnant d’un geste subtil.

– Devine, fiston ! on va les mimer ! oui, je te l’assure, toi et moi, on deviendra des hommes-oiseaux ; on ira où on voudra ! si Minos nous ferme les chemins de la terre et des ondes, le ciel nous reste ouvert, non ? ajouta-t-il, excité par cette idée insolite.

– Mais on n’a pas d’ailes, Père ! rétorqua Icare, en agitant ses mains, coudes collés au corps.

– Justement, on va les fabriquer ensemble, dit-il en faisant de grands mouvements avec ses bras. On volera comme ces aigles. Dédale, les bras écartés, penché du côté gauche, faisait comme un virage en piaillant comme un oiseau.

Icare, admiratif des inventions de son père, était fier de pouvoir participer, cette fois-ci, à cette nouvelle trouvaille. Pendant leur veillée, ils échafaudèrent des tas de plans.Dès le lendemain matin :

– Icare, fais le tour de l’île et ramène des plumes de toutes sortes, demanda Dédale, sérieux, le regard absorbé par ses projets d’ailes. Pendant ce temps, je dessinerai sur le sable mes idées et, à ton retour, on avisera de la suite.

Revenu, haletant de son expédition, Icare commente :

– Voilà, Père, j’ai trouvé des plumes de vautours, d’aigles, de flamants roses et d’aigrettes. J’ai aussi ramené du duvet de plumes, on ne sait jamais !

– Parfait, fiston ! tiens, regarde ces dessins ! fit Dédale, en désignant d’un geste grandiose le fruit de ses cogitations.

– Comme elles paraissent immenses, tes ailes ! s’étonna Icare.

– Il faut bien ça ! elles s’appuieront sur le corps entier, dit-il en s’allongeant sur le sable, entre une paire d’ailes. On les fixera à nos bras, là et là, et on les prolongera pour avoir une grande surface, comme une voile de bateau.

– Père, tu es franchement drôle ! il ne te manque plus qu’un bec ! se moqua Icare.

– Maintenant, fiston, va du côté des ruches, dans le petit maquis, et ramène de la cire d’abeille. ! j’ai une petite idée que je t’expliquerai plus tard, ordonna Dédale, un demi sourire au lèvre, l’index tapotant sa tempe.

Dédale choisit chaque plume, jugea de sa forme, de sa courbure, de sa texture et de sa brillance puis la posa sur le dessin, tracé sur le sable. La première paire d’ailes fut assemblée avec de la cire. On était au petit matin du premier essai de décollage de Dédale. Il courut de plus en plus vite, pieds-nus sur le sable.

– Père, Père ! tu y es presque ! ça y est, tu décolles ! comme tu es superbe ! s’extasia Icare, au comble de la joie.

Icare, subjugué, ne quitta pas son père des yeux jusqu’à ce que Dédale atterrisse en douceur sur la plage, entouré d’oiseaux.

– Père, tu es l’oiseau le plus admirable que je connaisse ! dit Icare, en se blottissant contre la poitrine de son père.

Ensemble, ils fabriquèrent la deuxième paire d’ailes.

– Ecoute-moi bien maintenant, fiston ! tu me suivras TOUT LE TEMPS recommanda Dédale, en détachant chaque mot. Nous survolerons la mer pour atteindre une île habitée. Ce sera long. Ne vole ni au ras des flots, pour ne pas alourdir tes plumes, ni trop haut, le soleil ferait fondre la cire de tes ailes. Promis ?

– Ne t’inquiète pas, Père, jura Icare, la tête déjà attirée par ce ciel si pur, si bleu.

Au petit matin, Dédale ajusta les ailes de son fils puis les siennes. Il embrassa Icare et décolla, ému. Son fils décolla à sa suite et prit de l’altitude, lui aussi. Dédale se retournait fréquemment pour surveiller Icare, resplendissant, divin.

– Tiens, des oiseaux curieux, viennent m’apprendre à voler ! super ! cria Icare à son père. Je n’ai qu’à les imiter.

– Bravo, fiston ! encouragea Dédale. Je reste devant toi. Continue à me suivre !

– Regarde, père, l’oiseau qui est passé devant moi, me tire, me fait accélérer et maintenant, clac, il ralentit, dit Icare, un peu essoufflé.

– C’est bien, fiston ! profites-en pour reprendre ton souffle, répondit Dédale, qui faisait lui-même de grandes inspirations régulières, tout en s’élevant peu à peu. Respire calmement !

– Que se passe-t-il maintenant ? voilà un autre qui reprend la première place ! waouh ! hurla Icare. On descend à toute allure, on remonte, on fait des boucles ! Incroyables, ces figures célestes! Père, viens essayer.

– Attention, Icare, tu n’es pas un oiseau, ne te laisse pas embarquer dans ces acrobaties, cria Dédale à son fils, qui ne l’entendait déjà plus.

– Père, c’est tellement grisant ! je sens tous les filets d’air sur mon visage, quel bonheur ! oups ! on pique et on s’élève tous ensemble, on monte, droit vers le soleil ! s’égosillait Icare, envoûté.

– Mais Icare, que fais-tu ? tu es fou ! tu as perdu la tête ! tu vas droit vers la flamme du soleil !

cria Dédale en voyant son fils se dresser en chandelle avec les trois autres oiseaux !

– Père ! père ! hurla Icare, en s’apercevant que ses plumes se détachaient une à une, tourbillonnaient autour de lui.

– Icare, mon fils, mon fils chéri, je ne peux te rattraper, tu tombes comme un caillou, gémit Dédale, impuissant, en larmes.

Icare s’engloutit dans les flots, entouré de plumes d’aigles, de flamants roses et d’aigrettes.

Le cœur déchiré, Dédale se laissa planer. Les airs l’ont porté, jours et nuits, et l’ont déposé en Sicile.

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Brigitte DANIEL ALLEGRO

Castelnau d’Estrétefonds – le 3 avril 2022

Dédale et Icare, un rêve en fusion

Temps de lecture : 4 minutes

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Minos avait condamné à l’exil Dédale l’ingénieux, pour avoir favorisé les amours coupables de Pasiphaé, sa femme, avec le superbe taureau blanc sorti de la mer. Dédale purgeait sa peine sur une petite île, avec son inséparable fils Icare. Ce dernier était toujours curieux et admiratif des inventions de son père, comme celle du labyrinthe où il avait pu l’aider. Cette fois, Dédale l’ingénieux cherchait, sans succès, un moyen de s’évader de ce bagne.

Le père et le fils avaient fait plusieurs fois le tour de l’îlot. Côté couchant, une falaise noire, puissante, faisait barrage aux vents dominants ; côté levant, une plage de sable rose, nacrée de coquillages, brillait aux rayons du soleil. La mer turquoise allait et venait inlassablement, se fracassant en écume épaisse sur la falaise ou léchant, limpide, le sable doux. Ils avaient construit leur abri près de la plage, avec des branches souples de saules et d’amandiers. Ici et là des plantes épineuses, acanthes aux fleurs blanches et euphorbes jaunes, aux piquants de hérissons, égratignaient parfois leurs cuisses. Lors de leur exploration de l’île, ils avaient repéré quelques ruches ainsi que des plantes aromatiques comme le thym et la sauge. Ils se nourrissaient de miel, de poissons et de baies sauvages. Une multitude de tortues se baladaient entre mer et terre. Les hauteurs étaient le domaine des oiseaux, aigles, faucons et vautours. Dédale et Icare croisaient ailleurs, des flamants roses, des cigognes, des aigrettes ou des hérons.

Pendant qu’Icare pêchait, Dédale observait les oiseaux, leur envol, depuis une branche ou un rocher ; il se nourrissait de leurs acrobaties, goûtait, comme s’il y était, leurs façons de prendre de l’altitude, planer, plonger et se redresser. Il dégustait leurs ballets aériens, où chacun jouait son rôle.

Un jour, alors qu’il avait encore la tête levée vers le ciel, il eut une révélation et dit à son fils :

Si Minos nous ferme les chemins de la terre et des ondes, le ciel nous reste ouvert. Nous deviendrons des hommes-oiseaux pour retrouver notre liberté. J’ai enfin une idée pour mimer les oiseaux.

Tout le jour, de l’aurore au coucher du soleil, Dédale dessinait sur le sable des projets d’ailes. Il les effaçait, les balayait de la pointe de son pied et recommençait, certain qu’il trouverait la cambrure de l’aile. Un soir, au crépuscule, il ne retint plus qu’un seul dessin.

Le lendemain, Dédale commença à choisir chaque plume, jugea de sa forme, de sa courbure, de sa texture et de sa brillance.

Il les disposa en ordre régulier, de la plus petite à la plus grande. Enfin prêt pour la fabrication, il les assembla avec de la cire d’abeille.

Le jour du premier essai, il courut de plus en plus vite, pieds-nus sur le sable, et décolla.

Une émotion l’envahit. Plus léger que l’air, il s’élevait au-dessus de l’île qui paraissait un pur bijou d’obsidienne et de nacre. Le sol s’éloignait, Icare devenait aussi petit qu’un caillou. De plus haut, l’îlot s’assombrissait et rapetissait au milieu de la mer. Il repéra des éperons pointus, des écueils à fleur d’eau que la mer laissait entrevoir et, plus loin, une côte, la Grèce, la Sicile peut-être ?

Un oiseau, curieux, s’approcha. Puis un deuxième, puis un troisième. Ils l’escortèrent pour revenir sur l’îlot. Dédale l’ingénieux atterrit en douceur sur la plage. Icare, qui n’avait pas lâché du regard son père, l’assaillit de questions. Dédale n’avait aucun mot pour dire ce qu’il avait ressenti mais son corps, rayonnant, parlait pour lui.

Satisfait de ce premier essai, Dédale fabriqua une deuxième paire d’ailes pour son fils. Lors de leur dernière veillée sur l’îlot, Dédale fit mille recommandations à Icare.

– Tu me suivras tout le temps. Nous survolerons la mer pour atteindre une île habitée. Ne vole ni au ras des flots, pour ne pas alourdir tes plumes, ni trop haut, le soleil ferait fondre la cire de tes ailes.

Icare jura à son père tout, et bien plus, impatient de prendre part à cette aventure.

Au matin, Dédale ajusta les ailes de son fils puis les siennes. Il embrassa Icare et tout ému, décolla. Son fils décolla à sa suite et prit de l’altitude, lui aussi.

Voler comme un oiseau, quoi de plus excitant, de plus euphorisant !

La vue était grandiose : la mer avait des couleurs allant du bleu roi au turquoise. Les îles pointillaient la grande étendue marine. Ils traversèrent, fascinés, une nappe de brume, légère, fine, impalpable. L’air sifflait dans leurs oreilles. Dédale se retournait fréquemment pour surveiller Icare, qui resplendissait, divin.

Des oiseaux vinrent, curieux. Trois d’entre eux se mirent à jouer avec Icare : l’un passait devant lui puis ralentissait pour se laisser doubler par ce drôle d’oisillon maladroit, puis un autre oiseau reprenait le même manège. Le quatuor volait maintenant en formation, unis dans l’air et l’espace qui s’ouvrait à l’infini. Icare, grisé, était devenu oiseau. Il imitait de son mieux les figures de ses nouveaux compagnons de voyage : des piqués aux loopings, plus rien ne l’arrêtait. Il se concentra sur ces acrobaties tellement extraordinaires qu’il ne fit plus cas de son père.

Dédale admirait avec fierté cette étonnant ballet qui volait derrière lui.

La formation prit de la vitesse. Dédale vit son rejeton battre des ailes à un rythme effréné, déployant une énergie folle. Le quatuor doubla Dédale, monta en chandelle si vite et si haut que la flamme dévorante du soleil fit fondre les ailes d’Icare.

Les oiseaux tentèrent des boucles pour récupérer leur oisillon.

Pendant sa chute, Icare appelait son père qui lui répondait, impuissant.

Dédale vit son fils s’engloutir dans les flots.

Le cœur brisé, il se laissa planer.

Les airs l’ont porté, jours et nuits, et l’ont déposé en Sicile.

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Brigitte DANIEL ALLEGRO

Castelnau d’Estrétefonds – le 26 mars 2022

Le dilemme de Mowgli

Temps de lecture : 4 minutes

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Le viel ours Baloo continuait l’éducation de Mowgli. Après les codes de la Jungle, il abordait à présent l’évocation des Maîtres-Mots, ceux qui assuraient une protection auprès de chaque Peuple de la forêt.

Une fois, aventuré sur un sentier, par une nuit sans clair de Lune, Mowgli s’était perdu. Incapable de retrouver Baloo, il avait clamé au Peuple-Oiseaux les Maîtres-Mots : « Nous sommes du même sang, vous et moi », et avait ajouté le cri du Vautour, comme il l’avait appris. En un instant, les Oiseaux vinrent à sa rencontre et le guidèrent jusqu’à Baloo, qui discutait, comme souvent, avec Bagheera.

Chaque fois que Mowgli avait utilisé ces Maîtres-Mots, ça avait marché !

Quelques lunes étaient passées. Mowgli se transformait. Sa voix devenait plus grave. Son corps se fortifiait. Ses muscles fermes lui permettaient de courir plus vite et plus longtemps, sans fatigue. Quand il se grattait le visage, il sentait pousser une fine moustache. Son caractère changeait. Il s’emportait, surtout contre Bagheera, sa mère d’adoption, sans trop savoir pourquoi. Lui, un rien provocateur autrefois, devenait cassant et rigide. Il le regrettait ensuite, mais c’était plus fort que lui.

Beaucoup d’idées tournoyaient dans sa tête. Pourquoi n’y a-t-il pas UN chef pour gouverner tous les Peuples? Je connais toutes les langues, les codes et les Maîtres-Mots de chacun. Alors, je pourrais être ce maître. Il en parla plusieurs fois à Bagheera. Tous ces Peuples, affirmait-elle, se respectent et vivent de coopérations mutuelles. Si quelqu’un vient à diriger la Jungle, il détruira notre équilibre. Il y aura des rivalités, des territoires bousculés, pillés, pour finir par une destruction complète de ce lieu de vie commun.

Mowgli n’était pas du tout convaincu. Il eut une idée. Et s’il prenait le contre-pied de quelques leçons? En changeant des Maîtres-Mots en Mots-Esclaves, arriverait-il à conquérir et à dominer quelques alliés ? Ensuite, il s’imposerait et serait promu tout naturellement LE chef ?

En cachette de Baloo et de Bagheera, il commença par le Peuple-Oiseaux. Il alla voir Jacot le Perroquet, et passèrent tous les deux une matinée à jouer. Mowgli flattait le bel oiseau aux couleurs vives et le récompensait de cacahuètes quand il gagnait. Il lui appris le premier Mot-Esclave : « Je suis le plus fort, rien ne m’arrête, le jour ! ». Tous deux, maintenant complices, allèrent sur la branche d’arbre où Mang, la chauve-souris, dormait paisiblement. Jacot voulait tester son premier Mot-Esclave et chanta à tue-tête, « Je suis le plus fort, rien ne m’arrête, le jour ! », jusqu’à ce que Mang sorte de sa torpeur, déploie ses ailes et se réveille.

– Qu’avez-vous ? Avez-vous oublié les Maîtres-Mots pour me réveiller en plein jour ?

Les deux larrons l’insultèrent et la traitèrent de feignasse.

– Tu dors encore à cette heure-ci, en plein midi ! Qu’as-tu fait la nuit dernière ? Tu n’aurais pas déniché par hasard de pauvres insectes qui dormaient … pour t’en régaler, vilaine !

– Mais je ne vous reconnais plus !

– On ne dira rien aux autres Peuples si tu nous promets ceci. Ils lui chuchotèrent un secret.

Mang, maintenant bien réveillée, tous ses sens en alerte, sentait monter en elle une puissance nouvelle. « Je suis la plus forte, rien ne m’arrête, la nuit ! » se répétait-elle, pour s’en convaincre.

Pendant ce temps, Bagheera avait remarqué que Mowgli prenait ses distances et la provoquait, les rares fois où ils se voyaient. L’adolescent allait jusqu’à critiquer l’éducation que Bagheera et Baloo lui avaient donnée. A d’autres moments, Bagheera l’entendait moduler sa voix. Elle ne comprenait pas les Nouveaux Mots qu’il prononçait mais elle avait bien retenu des sons comme : « Couché. Aux pieds. Bien, voilà ta récompense. Recommence. » Allongée sur une branche, en étirant ses pattes, elle observait ce jeune Homme qui regardait son image dans le miroir de la mare tout en faisant jouer ses muscles. Il changeait si vite, si brutalement.

Le jour où elle vit Baloo le vieil Ours se mettre à genoux, aux pieds de Mowgli, elle sauta d’un bond entre eux deux. Elle raconta alors le Peuple-Hommes, qui asservissait la Nature. Pire, les hommes rasaient des parties de Jungle, y plantaient de grands champs de manioc et capturaient, sans ménagement, des individus de chaque Peuple pour les exhiber dans des cirques. Bagheera le tenait d’un éléphant qui avait réussi à s’enfuir et à retrouver les siens.

Mowgli était désemparé. Était-ce SA NATURE, qui prenait le dessus? Son ambition de devenir LE chef de la Jungle était contrebalancée par l’éducation qu’il avait reçue de tous ces Peuples d’ici, eux qui lui avaient tout donné.

Bagheera comprit qu’il était tiraillé.

Elle lui demanda de décider d’ici la prochaine pleine Lune : soit elle le conduirait chez son peuple de naissance, soit il resterait en oubliant les Mots-Esclaves et toutes ses idées démesurées.

Pendant ce temps, aidé de Jacot, Mowgli se rendit discrètement à la lisière de la forêt pour observer une tribu d’hommes. Il aperçut des huttes, des animaux parqués dans des cabanes de branchages, un perroquet enfermé dans une cage, un genre de loup, attaché à une laisse, qui pleurait. Il vit aussi un grand gaillard fouetter avec une liane un animal à quatre pattes. Jacot les interpela. Les réponses furent unanimes. Ils souffraient cruellement.

Le premier soir de Pleine Lune, ils étaient tous là, les Oiseaux, les Serpents, le clan des Loups, Mang, Jacot et j’en oublie d’autres. Mowgli s’avança vers Bagheera pour donner sa réponse :

Je reste…

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Brigitte DANIEL ALLEGRO

Castelnau d’Estrétefonds – le 7 janvier 2022

Le combat des bestioles

Temps de lecture : 2 minutes

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Mathilde est une fille de la campagne. Le jardin et ses petites bestioles composent son terrain de jeu et son lieu d’observation. D’ailleurs, quand elle sera grande, elle s’imagine éthologue, un mot bizarre qu’elle a retenu quand une dame est venue en classe expliquer son métier passionnant, autour du comportement des animaux.

Mathilde a un goût visible pour les expériences.

L’autre jour, elle a coupé la queue d’un lézard avec son canif, d’un coup bref. Trop drôle ! Le bout de queue frétillait dans tous les sens. Hypnotisée par les acrobaties saugrenues de cet appendice verdâtre, la gamine a bêtement laissé filer l’autre partie du lézard. Dommage !

Hier, elle a attrapé un canard dans la mare, à côté de la grange, et lui a coupé un bout d’aile. Les cris déchirants du colvert, ses « heinh, heinh, … » nasillards provoquaient chez la mouflette une joie capricieuse, un plaisir pervers. Le pauvre oiseau, relâché dans la mare, ne pouvait plus voler. Quand le canard tentait de s’élever de l’eau, il basculait systématiquement sur le côté meurtri, en couinant. C’en était burlesque !

Ce matin, Mathilde se prépare à observer le déjeuner d’une coccinelle ; pas dans le jardin mais dans sa chambre. Elle installe sous une cloche en verre une coccinelle avec son mets préféré, une colonie de pucerons, agglutinés sur une gousse de fève. Elle attend, impatiente, la scène de chasse de la prédatrice, persuadée que la présence de pucerons aiguisera la faim de la petite bête rouge à pois noirs.

Mais rien ne se passe.

La coccinelle reste immobile. Pire, elle regarde à l’extérieur de la cloche, dans la lune. La gamine examine à la loupe les petites bestioles noires, ce mini monde étonnant où s’entremêlent les antennes, en agitation permanente. Qu’est-ce qu’elles peuvent bien se raconter ? En tout cas, elles ont de quoi se défendre, ces proies, avec leurs pattes longues et griffues !

La coccinelle reste imperturbable

tandis que les pucerons festoient, ripaillent, se régalent de sève.

La fillette traque le moindre mouvement de menace ou d’intimidation de la coccinelle, ou le début d’une fuite des pucerons.

C’est étrange que les protagonistes s’ignorent à ce point.

Les heures défilent. Il commence à faire sombre dans la chambre. Mathilde allume sa lampe de chevet, impatiente d’assister, enfin, au repas divertissant de ce soir. Ses yeux, rivés sur la cloche de verre, commencent à cligner. Sa vue se trouble. Elle s’endort. La coccinelle s’approche des pucerons. Les pucerons interrompent leur repas et agitent leurs antennes.

En un clin d’œil, les captifs brisent la cloche de verre, se ruent sur l’enfant,

goûtent la sève sucrée des narines, pompent avec vigueur les papilles de la fillette.

Ce nouveau territoire rapetisse, s’amenuise, disparaît.

Plus rien.

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Brigitte DANIEL ALLEGRO

Castelnau d’Estrétefonds – le 14 décembre 2021

Prêt à tout pour préserver l’harmonie ce lieu

Temps de lecture : 2 minutes

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Je suis prêt à tout pour préserver l’harmonie de ce lieu où j’ai pris racine il y a longtemps, où je me suis fortifié au milieu d’autres arbres, où je suis devenu le plus vieux de la forêt, un sage.

Nos racines se parlent

Nos branches bruissent et chantent

Nous hébergeons faune et flore.

Été, automne, hiver, qu’il pleuve, qu’il vente, qu’il neige, la vie grouille dans cette forêt. Au printemps, des messagers s’installent ici pour un temps, nichent dans nos branches, y élèvent leurs oisillons. Parmi nos hôtes, un poète sans âge a construit sa chaumine dans la clairière aux papillons, au bord du lac. Il nous écoute la nuit, perché sur un rocher, écrit à l’aube, nous chante ses haïkus l’après-midi :

Dans la clairière
Jour d'un printemps lumineux
Je respire le monde

Le vide et le plein
Le silence et le son
Accomplissent l'harmonie du monde

 Ce matin, une cacophonie fracassante couvre les chants de l’aube de la Grive musicienne, des mésanges bleues et des Rossignols. Je suis alerté par des bruits singuliers qui rompent notre équilibre délicat. Du haut de ma cime, j’aperçois, de l’autre côté du lac, un convoi de machines curieuses qui avancent lentement, dans un ronronnement de moteurs. Soudainement, une abatteuse tranche le tronc d’un arbre, puis d’un deuxième …/… Je vois mes confrères s’effondrer, l’un après l’autre. Je perçois, dans leurs craquements, leur chant du cygne, noble, empli de grâce. Je saisis, aussi, leur appel, nous exhortant à résister à ce pillage inique.

Je lance le signal d’alerte qui avertit notre forêt du danger imminent. Mes racines communique avec le réseau souterrain tandis que mes branchent s’agitent et désigne le lieu du danger.

Une pelleteuse déchaînée, montée sur des chenilles titanesques, creuse des tranchées, une broyeuse – déchiqueteuse avale les branches et les réduit en copeaux. Toutes les deux avancent, inexorablement, et bousculent tout sur leur passage.

Monstruosité

Le tas de ferraille éventre

Carnage cruel

Elles contournent les bords du lac, elles se rapprochent. Leurs bruits insoutenables résonnent partout : le sol vibre, nos racines tremblent, les animaux ne savent plus où aller, tétanisés par la peur. Le poète hurle, prend le lac à témoin, supplie la forêt.

Prenant la direction des opérations, nous nous mettons tous à l’œuvre,

fouines, belettes, racines noueuses, fougères oscillantes, lianes tentaculaires, ronces piquantes, nuages d’insectes, oiseaux aux becs acérés,

tous à l’unisson,

pour faire barrage à ces machines ravageuses, pour arrêter le désastre !

Le ciel courroucé se joint à nous. Un orage tumultueux éclate, de la grêle se déverse en torrents sur les engins, des éclairs aveuglants cisaillent le ciel. Notre forêt, unie et rassemblée dans ce moment crucial a tenté l’inimaginable.

Ferraille ligotée

Adieu ravages et dégâts

Forêt sereine

Harmonieuse à nouveau

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Brigitte DANIEL ALLEGRO

Castelnau d’Estrétefonds – 9 décembre 2021

Il parlait aux arbres

Temps de lecture : < 1 minute

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La nuit exagère et exacerbe nos sens. Écoutez donc l’histoire de ce poète.

Il y a longtemps, vivait au bord d’un lac, un vieux poète à barbe blanche. Il avait coutume, au coucher du soleil, de s’installer sur un rocher et d’y rester jusqu’au jour naissant. Été, automne, hiver, qu’il pleuve, qu’il vente, qu’il neige, il restait là. Il s’imprégnait des sons, des parfums, du souffle de la nuit.

Il parlait aux arbres, il parlait au lac.

Les gens du village le prenaient pour un rigolo, un fada.

Les arbres bruissaient, chantaient, lui répondaient.

Le poète rentrait alors chez lui, dans sa petite cabane en bois et se mettait à écrire.

Les nuits et les jours s’enchaînaient paisiblement ainsi jusqu’au jour où il entendit un bruit assourdissant, tout près de sa maison. Il eut l’illusion de voir une pelle monstrueuse, suivie d’un fourgon. Il sortit mais ce qu’il vit n’était absolument pas une chimère. Le tas de ferraille avançait lentement, broyant les arbres, éventrant le sous-bois, robot insensible au carnage qu’il engendrait. Il se dirigeait vers sa cabane, lentement, sans pitié.

Le poète hurlait, prenait le lac à témoin ; la forêt sanglotait, pleurait ses blessures à vif. Ils se sentaient tous impuissant face à cette machinerie froide, cruelle, insaisissable.

Mais que se passait-il ?

On ligota le poète pour l’envoyer à l’asile.

Un fou qui parle aux arbres ! Un fou qui parle au lac !

Ce n’est pas courant, ce n’est pas normal, ce n’est pas compréhensible.

Mais enfin, c’est monstrueux !

C’est ainsi que se répandent les rumeurs.

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Brigitte DANIEL ALLEGRO – Castelnau d’Estrétefonds – 2019

Qu’arriva-t-il au perroquet bavard ?

Temps de lecture : 3 minutes

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Jade sortit de l’école et rentra seule à la maison. D’habitude, elle faisait le trajet avec son amie Zoé. Arrivée à la maison, elle avait encore le souffle coupé, les joues rouges. Son grand-père vit de suite que quelque chose tracassait sa petite Jade.

– Zoé, c’est fini ! Elle est plus mon amie. Mon dessin de manga, celui que je lui ai fait pour ses neuf ans, des copines m’ont dit qu’elle l’avait donné à la nouvelle de la classe. En plus elle a dit que c’était elle qui l’avait fait, cette menteuse ! Et puis, elle lui a donné la main et elles sont parties toutes les deux sous le préau. Tu te rends compte grand-père! Ce n’est qu’une menteuse, une voleuse, une traître. Elle me laisse tomber et en plus comme elle ne sait pas dessiner, elle utilise mon dessin !

Le grand-père amena Jade dans la cuisine.

– Ca te dit quelques crêpes pour le goûter? On ouvrira le bocal de crème de marron pour les accompagner.

Pendant qu’il préparait la pâte à crêpes, il se mit à lui raconter une histoire, une de ses histoires dont il avait le secret.

« Il y a bien longtemps, en Tartarie, il y avait un marchand qui avait fait fortune grâce aux pierres précieuses. Il habitait la délicieuse ville d’Avarga, au bord d’une rivière. Il parcourait la région pour ramener des rubis, des émeraudes ou des diamants. Le luxe dans lequel il vivait ne compensait pas sa solitude pesante. Un jour, il décida de se marier avec la plus charmante jeune fille du royaume pour fonder une famille. Marjan avait de longs cheveux noirs qui lui couvraient les reins. Ses yeux étaient de velours. Elle chantait comme un oiseau, s’accompagnant d’un dôtar, sorte de luth à deux cordes.

Le marchand l’aima de suite, avec passion. Il avait hâte de la retrouver chaque soir, après sa journée de travail. Ils passaient de merveilleuses soirées. Mais les affaires l’obligeaient à s’absenter. C’était à chaque fois un déchirement de quitter sa femme. Un jour, il eut l’idée d’offrir à sa femme une cage à oiseaux dans laquelle paradait un magnifique perroquet, au bec corail et au plumage vert. Le perroquet et Marjan s’entendirent bien vite pour chanter en duo.

Quand le marchand dut s’en aller pour quatre ou cinq jours, il demanda au perroquet de prendre soin de son épouse. A son retour, interrogeant le perroquet, il apprit que sa femme s’était follement amusée, tous les soirs, avec un jeune homme. Furieux, il convoqua les trois servantes qui lui assurèrent que sa femme était fidèle.En échangeant quelques clins d’œil, l’une d’elles avoua que le perroquet disait n’importe quoi.

Peu après, il s’absenta une nuit seulement, pour vérifier les affirmations du perroquet.

Ce soir-là, sa femme voulait se venger de cet oiseau trop bavard, et passer un bon moment avec son jeune ami. Les trois complices s’amusèrent follement : l’une installa un toit au-dessus de la cage du perroquet puis fit couler des gouttes d’eau qui se transformèrent en grosse averse. Pendant ce temps, une autre agitait la cage à l’aide d’une tringle. La troisième tenait un miroir qui réfléchissait la flamme d’une bougie dans les yeux de ce perroquet. Tout ce stratagème masquait les amusements de Marjan et de son petit ami.

A son retour, le marchand interrogea l’oiseau parleur qui lui raconta le terrible orage qui l’avait malmené : des éclairs éblouissants, un vent qui le secouait et une pluie qui ne s’arrêtait pas. Le mari savait fort bien que la nuit avait été belle et ne crut plus le perroquet. De rage, il le sortit de la cage, l’empoigna par le cou, le jeta à terre et le tua. Tout rentra dans l’ordre, jusqu’à ce que les rumeurs des voisins atteignirent ses oreilles et confirmèrent les premiers propos du perroquet. Là il regretta fort d’avoir tué l’oiseau.»

Le grand-père regarda sa petite fille. Elle avait les yeux dans le vague et semblait apaisée. Il laissa couler le temps et attendit qu’elle le regarde pour reprendre la parole :

– Tu vois, ma petite Jade, jusqu’où peuvent mener les rumeurs.

– Si les voisins ont dit qu’elle voyait toujours son petit ami en cachette, c’est que le perroquet avait dit la vérité. Alors, grand-père, le perroquet a été tué pour rien.

– Tu as tout compris, ma chérie. Les trahisons blessent la personne trompée. Les rumeurs aussi peuvent faire beaucoup de mal. C’est très difficile de guérir des trahisons et des rumeurs, mais … il me vient une idée. Et si tu faisais toi-même la connaissance de la nouvelle de la classe. Es-tu sûre des rumeurs sur ton dessin ? Et même si ce qu’ont dit tes copines est exact, tu pourrais rétablir la vérité. Peut-être qu’elle aime dessiner, tout comme toi. Vous pourriez dessiner ensemble.

Jade réfléchissait. Son grand-père lui avait donné une super idée pour sortir de cette impasse. Elle prit une feuille de papier et traça à l’encre de chine un perroquet.

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Brigitte DANIEL ALLEGRO

Castelnau d’Estrétefonds – le 9 octobre 2021

Les chats l’ont osé

Temps de lecture : < 1 minute

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Cette histoire voyage, de bouche en bouche, depuis des générations et des générations, et se déforme en cours de route. Voici une version qui, comme toutes les autres, pose la même question.

A quoi pensaient les chats ?

Quand ils avançaient tout doux, à pieds de velours, qu’ils écoutaient, épiaient, filaient les humains, les oreilles dressées, les moustaches aux aguets, puis faisaient demi-tour et s’en retournaient, solennellement, ils avaient l’air d’avoir une idée en tête.

A quoi cogitaient-ils ?

Quand ils se frottaient aux jambes des enfants, la queue relevée en point d’interrogation, ronronnant, miaulant, pour obtenir les caresses qui leur donnaient des frissons, leur parcouraient tout le corps, puis s’en retournaient d’un air entendu, sur leur tapis persan, de qui étaient-ils les maîtres ?

Que voulaient-ils signaler aux humains ?

Les hommes étaient aux petits soins des chats. Les chats apprenaient sans cesse des hommes et méditaient. Ainsi s’étaient tissées des habitudes entre les humains et les chats. Jusqu’au jour où tous les chats arrêtèrent de miauler et de ronronner. Ils n’avaient pas été entendus.

Les chats s’étaient tus. Les hommes ne s’en inquiétèrent pas.

Plus tard, on releva un autre fait. Plus singulier celui-là, beaucoup plus insolite : les chats ne mouraient plus.

Ils ne se multipliaient plus. Ils restaient tels quels.

Quels secrets partageaient-ils ?

Sombraient-ils dans le sommeil ? Chaque éveil devenait l’expérience d’une régénération. Les hommes leur assuraient leur bien-être et eux, les chats, ne pensaient plus qu’à l’essentiel. Ils avaient médité, au cours des siècles, à un seul problème : l’immortalité.

Et à force d’y penser, ils l’avaient résolue.

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Brigitte DANIEL ALLEGRO – Castelnau d’Estrétefonds, le 13 septembre 2021

Liteul-le-minus (pour enfant de 4 à 6 ans)

Temps de lecture : 3 minutes

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Il était une fois un fermier qui avait quatre fils. Les trois aînés étaient grands et forts alors que le plus jeune, Liteul, était si petit, qu’il atteignait à peine la taille d’un coquelicot. « Liteul-le-minus » était le surnom que ses frères lui avaient donné.

Quand les quatre frères eurent vingt ans et des brouettes, le père leur dit :

– Mes fils, vous avez maintenant l’âge d’avoir une fiancée. Partez la chercher au-delà de la forêt. J’offrirai une chaumière avec un joli champ de blé à celui qui reviendra avec la fiancée la plus délicate.

Le lendemain, les trois grands frères quittèrent la maison à l’aube pour rejoindre le long sentier de la forêt. Quand ils arrivèrent au bout du sentier, ils découvrirent une vaste clairière. Ils s’arrêtèrent là, percevant des sons curieux. En prêtant attention, il leur semblait que les sons venaient d’une citrouille, une belle citrouille orange, dodue, installée dans un petit creux, au milieu de la clairière. De longues lianes vertes entouraient et dansaient autour de la citrouille, agitant de larges feuilles et de petits serpentins au rythme d’une farandole effrénée. La citrouille dodue se trémoussait, se balançait d’un côté et de l’autre, swinguait et chantait tout à la fois.

Les trois frères étaient subjugués. Il n’osaient interrompre ce spectacle mais en même temps, intrigués et curieux, ils voulaient voir ce qui se passait. Aussi s’approchèrent-ils lentement, sans bruit. Oui ! C’était bien cela ; cette joyeuse musique venait de la citrouille.

A moment donné, la citrouille fit « chut ! » et la farandole s’arrêta net.

Sortirent de la citrouille cinq graines minuscules qui glissèrent sur les lianes toboggans et se transformèrent en cinq personnages hauts comme des boutons d’or : un majestueux mini-roi, une tout aussi majestueuse mini-reine et trois charmantes mini-princesses. Le roi accueillit les visiteurs en ces mots :

– Bienvenus au royaume de la citrouille !

Les trois grands frères avaient remarqué les trois mini-princesses et commencèrent à se disputer, chacun voulant ramener sa fiancée.

– Nous avons parcouru un long chemin pour chercher une fiancée. Nous pensons l’avoir trouvée, dirent les trois goujats, brutalement, sans cérémonie, en se coupant la parole.

A ce moment précis arriva, tout essoufflé, Liteul-le-minus. Il se présenta et dit :

– Je suis Liteul, le plus jeune frère.

Le roi, qui était avisé et sage, dit aux trois grands frères :

J’ai besoin de réfléchir et ne peux accéder à votre demande maintenant. Je sais votre déception. Aussi, pour vous consoler, j’offre à chacun de vous une bourse magique : une rouge, une violette et une jaune. Chaque fois que vous aurez envie de quelque chose, dîtes les formules suivantes :

« taca-ta et taca-ti, toi, la bourse rouge, donne m’en beaucoup !;

« taca-ta et taca-ti, toi, la bourse violette, donne m’en encore plus !;

« taca-ta et taca-ti, toi, la bourse jaune, donne m’en une multitude ! »

Liteul-le-minus ne reçut aucune bourse et n’en fut pas jaloux. Il observait les trois charmantes princesses et son cœur battait fort quand il croisait le regard de l’une d’elles.

Le roi avisé et sage s’était aperçu que Liteul était sous le charme d’une de ses filles, la plus délicate des trois et que la jeune princesse rougissait dès qu’elle sentait le regard épris du jeune homme se poser sur elle. Le roi s’adressa à Liteul :

– Je te confie ces trois graines. Quand tu seras de retour chez toi, dépose-les dans le potager de tes parents, compte jusqu’à trois et fais un vœu. Retiens bien ceci : tu n’auras droit qu’à un seul vœu.

Sur le chemin du retour, les trois grands frères chantaient, sifflotaient, se sentaient bien plus chanceux que Liteul-le-minus ; ils pourraient obtenir tout ce qu’ils souhaiteraient et autant de fois qu’ils le voudraient grâce à leurs bourses magiques, alors que Liteul-le-minus, lui, s’était fait avoir une fois de plus. Quel malchanceux !

A peine arrivés à la maison, les trois grands frères étaient si impatients d’utiliser leurs bourses magiques qu’ils s’écrièrent en même temps :

« taca-ta et taca-ti, toi, la bourse rouge, donne m’en beaucoup !;

« taca-ta et taca-ti, toi, la bourse violette, donne m’en encore plus !;

« taca-ta et taca-ti, toi, la bourse jaune, donne m’en une multitude ! »

Dans un bruit de soufflet de forge, sortirent de chaque bourse d’affreux trolls, des gourdins à la main, qui rouèrent de coups les trois frères :

beaucoup à l’un,

encore plus au deuxième

une multitude au troisième.

Quand Liteul-le-minus arriva enfin à la ferme, il salua ses parents, leur raconta son voyage, l’odeur de la mousse et des champignons de la forêt, la rencontre avec le royaume de la citrouille ainsi que les paroles échangées avec le roi. Il n’oublia pas, bien sûr, de mentionner l’une des trois princesses. Puis il se rendit au potager et sema les trois graines. Il compta jusqu’à trois et fit un vœu.

C’est alors que la magie des graines opéra, à l’ombre de la fontaine :

de l’une sortit un petit château,

de l’autre, un jardin tout mignon peuplé d’oiseaux

de la troisième, la délicate mini-princesse, celle dont il était amoureux.

La suite de l’histoire, c’est comme dans les contes : ils se marièrent et furent heureux avec leurs charmants petiots.

Brigitte DANIEL ALLEGRO – Castelnau d’Estrétefonds, le 4 mai 2021

La pomme et l’oiseau bleu

Temps de lecture : < 1 minute

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Les yeux fixés sur le pommier, je raconte à mon petit-fils l’histoire de cet arbre planté à sa naissance, il y a six ans.

Un oiseau bleu passe sous nos yeux, se dissimule dans le sorbier tout proche, prend son envol, se perche sur une branche du pommier, agite sa tête huppée, retourne dans le sorbier, reprend son manège. Louis est captivé par les allers-retours de l’oiseau.

Je contemple le port hardi du pommier qui se découpe dans le ciel.

Un rayon de soleil illumine le feuillage. Dans un élan soudain, de vives taches dorées bousculent sans ménagement ce paysage changeant. En un instant, un miracle se produit :

une pomme jaune, ronde, lisse apparaît en majesté sur la branche basse.

L’oiseau bleu, attiré par le fruit juteux, donne des coups de bec dans la chair jaune. La pomme devient verte de peur.

Louis détache ses yeux du paysage et me regarde, stupéfait.

– Que se passe-t-il, grand-mère ? Comment la pomme a fait pour changer de couleur?

– Que se passe-t-il, grand-mère ? Comment la pomme a fait pour changer de couleur?

Une aquarelle est née par accident.

Brigitte DANIEL ALLEGRO – Castelnau d’Estrétefonds, le 14 mars 2021