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Mado, veuve d’une quarantaine d’années, élevait seule, depuis plus de quinze ans, son fils unique Jacques. Pharmacienne passionnée par son métier, elle avait l’art de révéler la quintessence des plantes sous forme de mélanges à infuser, de sirops, de gélules ou d’huiles essentielles. Elle stimulait chez ses clients, leur bien-être, calmait leurs angoisses, améliorait leur digestion ou leur respiration. Jalouse de son savoir, elle accumulait dans son arrière-boutique des classeurs qui consignaient les dosages et les vertus de ses assemblages.
Jacques, nourri au langage des plantes, avait développé au fil des ans, une phobie par rapport aux huiles essentielles. Pour lui, elles se résumaient à « je soigne ET je suis un poison en devenir ». Il était devenu un adolescent émotif, hypersensible, qui s’inquiétait d’un rien. Récemment, il tomba par hasard, sur un bout de papier où sa mère décrivait une huile essentielle qui aidait les vieux à mourir paisiblement. Il en fut tellement secoué, qu’il ne vit plus dans sa mère qu’une empoisonneuse redoutable. Leurs relations se dégradaient au fil des semaines.
Mado en avait ras-le-bol de ce fils qui traînait un mal-être nonchalant, insondable.
Depuis peu, elle avait pris l’habitude de se confesser. Dans l’isoloir du confessionnal, elle tenait à son rituel rigoureux, appliqué dans cet ordre : s’agenouiller sur le banc étroit, coller les coudes au corps, bien joindre les mains, pencher la tête, menton collé à la poitrine, fermer les yeux. Un long rideau préservait l’intimité de l’isoloir. Séparée du prêtre par une grille en bois, elle ne voyait que son profil. Chuchoter dans l’obscurité, ouvrir son cœur, mettre à nu sa vie, engager un bavardage pénitentiel lui procurait un bonheur étrange et merveilleux, différent de sa passion pour les plantes. Cet examen de conscience l’amenait à prendre du recul sur sa vie. Elle se prenait à imaginer un avenir moins routinier que celui qu’elle menait depuis quinze ans, entre son fils et la pharmacie.
L’ombre de son amant prenait de plus en plus de place dans ses confessions.
Elle le hantait, elle la rassurait.
A la fin de cette journée caniculaire, elle se dirigea vers l’église, comme à son habitude. Le prêtre accueillit en silence les paroles de la veuve qui avoua avoir accommodé quelques huiles essentielles pour des patients, en phases terminales. Et si elle en donnait à son fils ? Elle se repentit sincèrement dans la pénombre du confessionnal et obtint l’absolution.
Rentrée à la maison, elle se sentait légère, déchargée de ses fautes et alla directement à la cuisine préparer le dîner. Elle repensait à sa confession : Jacques entravait sa voie, sa vie; il occultait un avenir rayonnant. L’envie de meurtre l’enflamma.
Elle saisit son téléphone et envoya un SMS à son amant :
« La prochaine victime de mes huiles sera Jacques. »
Son fils reçut ce SMS troublant. Il y avait une erreur de destinataire mais, ce qui était certain, c’est qu’il provenait de sa mère. Qui était ce Jacques qu’elle mentionnait ?
Quand son fils entra dans la cuisine, Mado leva les yeux vers Jacques et se figea.
– Qu’as-tu donc, mon petit Jacques ? lui dit-elle. Tu es si pâle ! Tu souffres ? Comme tu me regardes mon cher trésor, mon grand enfant !
Elle l’enlaça amoureusement, lui caressant longuement le dos.
– Tu es vraiment très pâle ! tu ne dis rien ! va te reposer dans ta chambre pendant que je finis le repas, lui recommanda-t-elle, en chatouillant son menton. Je t’apporterai le dîner au lit. Prends bien ta température ! Si tu as de la fièvre, je te préparerai une huile essentielle pour te requinquer.
Jacques n’eut pas le temps d’atteindre sa chambre : il s’écroula sur place.
Mado envoya un SMS à son amant.
En jean et pull à col roulé, le séducteur fut là en moins de deux.
Délivré de sa soutane, il administra le sacrement d’extrême-onction en appliquant des Huiles Saintes sur le front de Jacques, avant que ce dernier ne poussât son dernier soupir.
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Brigitte DANIEL ALLEGRO
Castelnau d’Estrétefonds – le 14 avril 2022