Critique littéraire d’une nouvelle

Temps de lecture : 3 minutes

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Cher confrère,

Vous trouverez ci-après mon avis sur Marie Curie, Albert Einstein et Franklin Roosevelt écrivent l’histoire (référencée C18F) texte qui concourt pour la sélection de la meilleure nouvelle en 6000 signes, dans la catégorie Uchronie, chez ELS. Au-delà de mes critiques, je propose quelques pistes de ré écriture, au cas où l’auteur souhaiterait reprendre son texte.

En deux mots, le sujet de la rencontre de deux génies scientifiques du XX° siècle est prometteur, de même que le thème de l’uchronie qui aurait évité la guerre froide du XX° siècle. Mais le texte est alambiqué.

Commençons par le titre où trois personnages semblent impliqués dans une histoire. Soit. Mais après lecture, ce titre est décorrélé du texte. Il y a aussi un quatrième personnage, celui de l’ombre, qui joue un rôle important dans le texte. Je mesure bien mes mots quand je parle de texte car il n’y a pas d’intrigue dans cette nouvelle tant le sujet est confus : un physicien manipulateur, le projet Manhattan, une lettre à faire cautionner par un génie scientifique, la curiethérapie ou le Welfare State d’un président américain. Cinq idées, cinq pistes, beaucoup trop d’embrouilles dans ce labyrinthe où on tourne en rond, où on reprend plusieurs fois les mêmes idées.

Un exemple parmi d’autres, je cite :

  • Premier § : « l’Allemagne nazie serait en capacité de fabriquer la bombe atomique … »
  • Plus loin, Einstein dit «  Il [ Szilárd ] est persuadé que les Allemands travaillent sur la bombe atomique et qu’Hitler n’aura aucun scrupule à l’utiliser ».
  • Un peu plus loin, il persiste : « D’après Szilárd, des chercheurs allemands de l’Institut du Kaiser Wilhelm à Berlin, tentent de reproduire les expériences nucléaires des laboratoires français et américains. »

Ces trois redites occupent plus de la moitié du texte pour mettre en exergue le côté manipulateur du physicien Szilárd sans conduire efficacement à une intrigue : qui est Szilárd ? où en est-il dans sa vie de réfugié politique hongrois ? pourquoi veut-il barrer la route à Hitler ?

Cette piste-ci n’a pas été exploitée par la suite. L’auteur passe à autre chose.

On arrive au dialogue entre Marie Curie et Franklin Roosevelt qui occupe le quart du texte. Il est truffé de phrases prononcées par l’une ou l’autre mais employées à mauvais escient dans ce texte. Dans ce qui pourrait être une piste pour une intrigue, à savoir comment arrêter le projet Manhattan, on ne sent pas de tension monter, s’installer, culminer jusqu’à déstabiliser une décision que le président Roosevelt s’apprêtait à prendre. Par ailleurs cette scène n’est pas contextualisée. On ne se raccroche à rien pour se représenter cette entrevue hors du commun. Où se passe cette conversation? assis dans le bureau du président ou dans un salon de la Maison Blanche ? discutent-ils au contraire en extérieur, dans les jardins ou sur une terrasse de la résidence présidentielle?

On gagnerait en crédibilité si on pouvait s’imaginer l’ambiance de cette rencontre tout en ayant quelques points de repères sur le contexte.

Concernant les personnages, donner de l’épaisseur à la personne du président Roosevelt permettrait d’avoir un accès à sa psychologie. Ici, rien n’est évoqué.

Il y a une tentative de l’auteur, dans le dernier quart du texte, mais à nouveau maladroite et hors contexte, lorsqu’il mentionne la fierté du président, le Welfare State, mise en regard de la Curiethérapie inventée par Marie Curie. Le dernier paragraphe, qui conclut le texte « Nous continuerons à équiper nos hôpitaux. Roosevelt déchire la lettre. Marie, reconnaissante à Einstein de l’avoir consultée et pleinement satisfaite de l’issue de cette lettre est soulagée. » est très éloigné du début du texte comme des autres pistes d’intrigues sommairement évoquées dans ma critique. Elle tombe comme un cheveu sur la soupe.

Venons-en à la langue. L’ajout de phrases clichés nuit à la lisibilité du texte.

Je cite : « Nous ne pourrons construire un monde meilleur sans améliorer les individus… Le monde actuel est dangereux à vivre, surtout à cause de ceux qui laissent faire … Dans la vie rien n’est à craindre, tout doit être compris … chacun de nous a appris les gloires de l’indépendance. Que chacun de nous apprenne les gloires de l’interdépendance …  »

Le rythme est un adagio lent, pesant, sans surprise, monotone.

Les redites que je n’ai pas toutes signalées sont énervantes. Oui, on a compris que Szilárd ment, manipule et veut avoir un rôle important dans la construction de la première bombe atomique. OK.

Quant à la narration, les références chronologiques et avérées des deux personnages, le Welfare State et la Curithérapie détournent de l’intrigue relative à l’uchronie.

Voilà pour mes critiques.

Je me permets de fournir quelques pistes pour la reprise de ce texte, car les ingrédients sont là, et il suffit à l’auteur de créer une intrigue autour de l’uchronie de l’arrêt du projet Manhattan par le président Franklin Roosevelt, grâce à l’intervention de Marie Curie. Je conseille à l’auteur :

  1. Ecrire le pitch en une phrase puis amplifier le texte par ajouts successifs.
  2. Cerner l’intrigue, par exemple autour de la conversation entre le président Roosevelt et Maire Curie.
  3. Donner de l’épaisseur au président Roosevelt.
  4. Tester cette nouvelle en donnant le rôle principal au président Roosevelt et non plus à Marie Curie. L’empathie de l’auteur pour Marie Curie crève les yeux et l’a détourné de l’intrigue.

Bien à vous,

le 3 mai 2022

Brigitte DANIEL ALLEGRO – Castelnau d’Estrétefonds

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Le destin d’une pierre

Temps de lecture : 2 minutes

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Le facteur Cheval parcourait à pieds 30 à 40 kilomètres par jour sur des chemins escarpés pour distribuer son courrier. Il tenait entre ses mains des trésors de cartes postales, du monde entier. Chaque fois, avant de s’en séparer, il les détaillait, ici une pyramide, là un volcan, ici une locomotive, là des danses indiennes. Il observait tout autant les timbres et les cachets des pays d’origine et rêvait. D’une maison à l’autre, il rêvait, il parlait peu. Il s’arrêtait de longs moments pour respirer les plateaux du Vercors et contempler les plaines de noyers ou de lavandes puis reprenait sa tournée. Les paysages, les personnages, les lieux, réels ou imaginaires le transportaient dans son monde à lui.

Un jour d’avril 1879, alors que Ferdinand Cheval achevait sa tournée quotidienne, il buta sur une pierre du chemin. Il la sortit lentement du sol caillouteux, la prit dans ses mains. Il souffla dessus, faisant voler la poussière ocre qui l’enveloppait et fut saisi à cet instant par son aspect étrange. Il l’enveloppa dans un mouchoir et la mit dans une poche de sa veste.

Arrivé chez lui, il posa sur le banc, de gestes lents, sa besace de postier, sa casquette et sa veste, retroussa les manches de chemise, prolongeant avec volupté l’attente du moment où il ferait connaissance avec cette pierre.

Il s’assit sur le banc, sortit le mouchoir de sa poche, caressa le tissu, le déplia avec précaution, comme s’il découvrait une momie. Cette pierre était tellement étrange: façonnée par des roulements de graviers, de sédiments, d’alluvions. D’où venait-elle ? Quels mondes avait-elle connus ? Ses formes courbes, policées, patinées, témoignaient de longs voyages.

Il l’effleura légèrement, la contempla, les yeux perdus au loin.

Sa femme dévisageait son mari, en silence, se demandant ce que cette pierre pouvait bien lui révéler. Elle le sentait étonnamment ému.

Soudainement, dans un éclair fulgurant traversant son cerveau, Ferdinand éprouva un brassage de fraternité, d’unification de philosophies. Il discerna

une architecture floue,

un abrégé de cascades, de bassins, de temples,

une esquisse d’Arbre de vie, d’Arbre cosmique, le Pommier,

une profusion d’animaux, lions, chiens, pélicans, cerfs, biches, phénix, un labyrinthe,

des ébauches de temples, de chalets, de clochers, de minarets,

des silhouettes de géants, Archimède le Grec, César le Romain, Vercingétorix le Celte

tout cela enchevêtré, mêlé dans les interstices des lieux et des temps à

un foisonnement de pensées

« rassemble ce qui est épars »

« fuis la louange, recherche la sincérité »

« laisse l’esprit te guider et la sagesse viendra à ton secours ».

Il eut la vision d’une œuvre ultime, d’un palais atemporel qui dégagerait en écho chez ses invités un questionnement sur l’architecture de leurs propres temples.

Brigitte DANIEL ALLEGRO

Castelnau d’Estrétefonds – le 27 avril 2022

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