Dans un village près du lac des Trois Rivières, une nuit où la lune était pleine, la femme de Djussi mit au monde des jumelles. Cette nuit-là le Monstre du Volcan Sacré avait encore sévi en enlevant sept enfants de 7 ans. Il agissait ainsi certains soirs de pleine lune avec mille et un tours dans sa poche pour déjouer l’attention des parents. Les villageois consentaient à ce sacrifice pour ménager la colère du volcan. Mais Djussi, jeune papa, ne put se résigner à cette malédiction. Le désir de tuer le Monstre s’installa dans son esprit et l’obséda tant qu’il se confia à sa femme et à ses amis, le forgeron et le bûcheron qui colportèrent aussitôt ses paroles. Le lendemain tous les habitants des alentours étaient au courant : les villageois, la pie, le corbeau, la belette. Peu à peu la rumeur se propagea jusqu’à la Forêt des Songes. Djussi consulta Shaki le Sage qui l’encouragea dans sa détermination et lui confia des paroles éclairées. Djussi se prépara au grand voyage.
Le jour du départ, il revêtit son vêtement de peau,
mit dans sa besace sa gourde et du pain,
emporta la machette fabriquée par ses deux amis,
embrassa sa femme et ses filles et partit à l’aube.
Du chemin de la Rivière du Diable il crut reconnaître la Vouivre nageant dans l’eau calme. Elle avait déposé dans la rosée du matin son Diamant, objet doué de magie, qui se révélerait un précieux guide pour Djussi au dire de Shaki le Sage. La Vouivre était effrayante, plus grosse et plus longue que toutes les vipères qu’il avait croisées jusqu’ici, avec un corps aux écailles de feu résolument dissuasives. Pourrait-il dérober le joyau sans attirer l’attention de la Vouivre ? Il se décida, avança, les sens en éveil, les gestes assourdis, au ralenti et s’empara du Diamant. Il se glissa furtivement entre les bambous puis trouva un lieu sûr pour l’apprivoiser et l’informer de sa quête. Il le mit à son cou.
Un papillon se posa sur sa main et lui dit :
– Ce diamant émet un rayon d’or en direction du Volcan Sacré. En cas de danger, un rayon vert signale vers où s’enfuir. En aucun cas tu ne devras t’assoupir dans la Forêt des Songes sous peine de perdre le Diamant.
Djussi passa le gué de la rivière. Il longeait un marais putride et nauséabond quand il vit l’Hydre aux SeptTêtes et à l’Haleine Poison. Menaçante, elle lui barra le chemin en balançant ses affreuses têtes noires tachetées de bleu. Son haleine pestilentielle lui donnait des nausées. Le Diamant lança le rayon vert orienté vers le marais. Mais Djussi l’ignora, prit instinctivement sa machette, retint son souffle, trancha d’un geste rapide et précis les têtes de l’hydre, la laissant morte sur place. Il hurla longtemps débarrassant son corps de l’air fétide qui le gênait.
Il poursuivit sa route et déboucha dans la Forêt des Songes, là où les chênes et les châtaigniers, branches et feuillages entremêlés, élaboraient des discours de sagesse. Une agréable odeur de mousse, de champignons et de terre humide l’enveloppait. Les oiseaux aux couleurs de la brise le saluaient de leurs chants merveilleux. Le jour déclinait rapidement. Djussi épuisé s’installa au pied d’un arbre. Il ne devait surtout pas s’assoupir ici, il le savait bien mais il se sentait incapable d’avancer. Les paupières lourdes, il se relevait, faisait le tour de l’arbre, luttait contre le sommeil et s’asseyait à nouveau. Ce cycle infernal dura toute la nuit.
Au petit jour il but, rompit du pain, s’aspergea d’eau et sonda le Diamant.
Confiant, il reprit la route, passa un col et suivit la piste dans la vallée. A l’est le Volcan en majesté, entouré de nappes de brumes, imposait sa présence. Djussi se prosterna face à ce colosse qui imprimait ses lois et ses émois aux villageois. Il s’abandonna à sa tristesse et pleura les enfants disparus. De loin il repéra une saignée dans le flanc du volcan. Aux abords de la caverne, un bruit de soufflets de forge le saisit d’effroi. A cet instant, doutant de lui, il voulut rebrousser chemin mais le Diamant le rappela à l’ordre avec un rayon d’or particulièrement intense.
Il s’accroupit, la tête entre ses mains, pensa à ses jumelles puis se releva.
Il pénétra dans la sinistre saignée par un boyau ténébreux et déboucha dans une salle rougeoyante, éclairée par un lac de lave en fusion. Des ombres dansaient sur les parois de la caverne. La respiration du Monstre heurtait les parois et se démultipliait en échos. Mais où était-il ? Le Diamant lui vint en aide pour le localiser. Son rayon d’or balaya l’horrible créature endormie : une queue fine et longue, imprévisible, des pattes aux griffes acérées, une crête menaçante sur une tête de dragon. Il n’y avait aucun doute, c’était bien lui qu’il faudrait tuer.
Le Monstre s’étira, se réveilla et capta le regard terrorisé de Djussi.
A cet instant le Diamant rendit Djussi invisible. Une lutte féroce s’engagea, faisant retentir la caverne de hurlements effrayants. Le Monstre, agile malgré sa taille, esquivait les coups, fouettait l’air en enroulant et déroulant sa queue, rebondissait sur les rochers de la caverne. Djussi sentait des forces surnaturelles l’assister. Il creva les yeux du Monstre etlui morcela la queue avec sa machette. Les ombres fantômes conjuguèrent leurs énergies et vinrent au secours de Djussi pour pousser le Monstre disloqué jusqu’au lac de lave et l’y noyer. A cet instant-même les enfants furent désensorcelés et reprirent des formes humaines de gamins dans leur huitième année. C’est alors que le Volcan Sacré émit quelques bouffées de gaz, visibles du village.
Shaki le Sage sut que la mission avait réussi.
Le Diamant, Djussi et les enfants revinrent au village où une grande fête les attendait. Djussi raconta avec simplicité son périple : l’hydre, la vouivre, le monstre. La pie, le corbeau et la belette en rajoutèrent un peu et même un peu plus que la réalité pour glorifier notre jeune héros. Tout rentra dans l’ordre aux pleines lunes.
Aux 7 ans de ses filles, Djussi conduisit sereinement sa famille au pied du volcan.
le 10 décembre 2020