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Nous quatre – mon mari, mes enfants et moi-même – voyageons à domicile en ouvrant notre foyer à des personnes venant de tous les continents : c’est super sympa, plein de surprises et de découvertes sur le monde. L’an passé, nous avions reçu Isabelle et Nicolas, québécois de dix-neuf ans, qui débutaient leur voyage de césure entre le lycée et l’université, histoire de découvrir le monde avant de choisir leurs voies. Au -delà de leur délicieux accent québécois, nous avions vite repéré leur charmante expression qui donnait du relief à tout ce qu’ils disaient.
Isabelle allait de son Ah ! Ouais ! dès que quelqu’un finissait une phrase. Nicolas reprenait en écho le Ah ! Ouais ! Le « AAAhhh ! » durait bien quelques secondes, pendant que le menton effectuait un joli mouvement interrogateur et que les yeux accrochaient ceux de l’interlocuteur. Une fois la prise assurée, le « Ouais ! » bref, aigu, les sourcils au ciel, mettait un point d’orgue : la tête reprenait sa position normale. La conversation se poursuivait.
Nous avions même eu droit à un magistral Ah ! Ouais ! à deux voix, la soprano et le ténor.
Le plus cocasse, c’est que ces deux petits mots sournois étaient devenus communicatifs. Nos propres habitudes de langage comme, « c’est juste pas possible » ou « j’ai envie de dire que », ou alors « tu vois ce que je veux dire » ont timidement tiré leurs références devant les Ah ! Ouais ! fougueux, énergiques, impulsifs, si plein d’entrain de ces deux jeunes gens.
– Ah ! Ouais ! cet aligot, qu’est-ce qu’il était bon !
– Ah ! Ouais ! j’ai bien aimé cet Armagnac !
A la fin du repas, la polyphonie des Ah ! Ouais ! battait son plein, augmenté de nos quatre voix toulousaines.
Quand ils nous ont quitté l’an passé, nous les avions surnommé, à l’unanimité, la famille Ahouais.
Ils reviennent ce soir, à la fin de leur voyage. Au coup de sonnette, nous nous ruons à la porte d’entrée. Oserons-nous, putain*, leur révéler leur surnom ?
Dans une grande et longue embrassade, Isabelle me dit :
– Vale ! Ce voyage a été, Ah ! Ouais ! tout simplement, comment dire ?
– Ah Ouais ! tu veux dire qu’on est heureux de l’avoir fait et de le terminer chez vous, comme en famille. On a tant de choses à vous raconter, renchérit Nicolas.
Boudu*, quelle soirée ! Leur périple nous a bien espantés*. Nous étions surtout rassurés qu’ils n’aient pas trop changé !
Au passage, leur tic s’était embelli d’une belle toque et avait adopté un petit cousin espagnol, « vale ».
Et toc !
* expressions toulousaines :
« boudu » est du genre « Ah ! Ouais ! », car il peut être mis à toutes les sauces ;
« putain » est utilisé comme une virgule ou un point. Il sert aussi à reprendre sa respiration ;
« s’espanter » (en ouvrant bien le son « an ») est l’équivalent de s’étonner.
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Brigitte DANIEL ALLEGRO – Castelnau d’Estrétefonds – le 11 novembre 2021