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En feuilletant un de mes vieux carnets de notes, je tombe sur un texte « L’anneau d’or ». Cette simple évocation ravive une atmosphère insolite qui m’avait touchée à l’époque. Je retrouve aujourd’hui ce moment magique où je me suis sentie une toute petite particule de l’univers, où j’ai frissonné, où mon cœur s’est emballé dans un silence figé. Aujourd’hui, en relisant cette succession de phrases je trouve ce texte banal, plat. Il escamote mes ressentis face à ce spectacle singulier. Le prénom d’un personnage apparaît : Louis. Mais que vient-il faire ici ? Il n’est ni le protagoniste de l’histoire, ni le narrateur.
Je perçois, cependant, quelques pépites que j’ai envie de dégager de leur gangue pour les élever au rang d’une nouvelle. Aussi, je m’installe ce matin dans mon cadre familier d’écriture avec Octave, mon piano, à ma gauche et des enveloppes usagées à ma droite. De là, je vois, entre le noyer et le sorbier ce qui se passe dans le jardin : la chatte des voisins chasse, mon mari pousse une brouette d’artichauts.
Je commence par recopier le texte à la main, d’un geste lent, sur une enveloppe, en numérotant chaque phrase. Cela paraît insensé de perdre ainsi mon temps alors qu’il suffirait de photocopier les pages du carnet. Mais, pendant que je lis la phrase et m’en imprègne, quand ensuite je la recopie, mes neurones s’activent et jouent pleinement avec les mots. Si des synonymes surgissent, je les capte au passage ; si je visualise des scènes, j’en fais un croquis ; si je perçois un univers sonore, j’écris des rythmes comme ta ga da – tsoin- tsoin. Je me rends compte que je retranscris rarement les sensations fugitives qui me traversent à cet instant; je n’ose pas les coucher sur le papier, elles m’appartiennent.
Maintenant que le texte est recopié au stylo noir, mon crayon à papier prend la relève. J’introduis des onomatopées et des pense-bêtes. Par exemple, à la phrase 12 : « la huppe grogne », j’ajoute « chercher des mots ayant ce son GRRR ». A la phrase 13 : « l’effroi et la frayeur collective » me font penser au son « FFFEUUI» et à une image de fuite, à exploiter plus tard.
Somme toute, ce texte me semble un bon point de départ pour une nouvelle à chute. Aussi, pour renforcer la mise en tension, je tenterai de mieux camper le contexte initial, serein et le ferai évoluer. Je ferai voir les voiles de brumes du ciel à l’aube, ferai entendre le jardin où les oiseaux s’en donnent à cœur joie. Je dois aussi cerner les protagonistes (la huppe fasciée, le disque solaire, la lune) et éliminer les personnages de trop qui ne servent pas la nouvelle.
A ce stade, j’ai assez de matière pour structurer un nouveau texte et élaborer un plan.
J’imagine à ce moment-là un lecteur gravissant une colline. Arrivé au point culminant, il discerne à peine un anneau qui brille au loin et ne peut plus en détacher son regard. Je dessine la courbe de la colline et la jalonne des numéros des phrases. Les numéros se regroupent gentiment par affinités, au pied de la colline, dans la montée, au sommet, dans la descente. Les redites apparaissent, les phrases de trop sont supprimées. Sur ce dessin émergent naturellement quatre péripéties jusqu’à l’effet de surprise, la révélation de l’anneau d’or, chute de l’histoire.
La première partie débute dans le jardin, au lever du soleil. Je dois colorier les phrases actuelles plutôt grisâtres, faire vivre l’ambiance matinale où les oiseaux se répondent les uns aux autres, depuis la forêt jusqu’au sorbier ou au noyer, faire entendre le cri du coq et enfin, faire surgir la charmante huppe, au milieu du jardin. Elle sautille, picore, discute. Je me rends compte que je n’ai pas mentionné la frêle présence de la lune. Je la rajoute sur mon dessin.
Dans la deuxième partie, subitement la huppe lance un cri d’alarme que je ne comprends pas. Les oiseaux disparaissent et regagnent leur nids dans des bruits de battements d’ailes agités et des chants désordonnés – Je pourrais faire entendre le « poup’ RROU OU » de la tourterelle, le « tsit tsit triiiii » de la mésange bleue, le « uit tec tec » sec du rouge-gorge pour accentuer le passage du chaos tapageur au silence inquiétant.
Le ciel s’assombrit comme si c’était le soir. L’atmosphère est lourde, dans cette troisième partie. Il manque ici la transcription d’une angoisse confuse, étrange, contagieuse, bref, une prémonition de fin du monde. Tout semble figé, dans l’attente d’un événement inéluctable. Je sens la présence invisible des oiseaux. L’air est électrisé.
C’est alors que, dans la quatrième partie, la petite lune s’approche sans complexe devant l’astre solaire : le spectacle de l’éclipse est superbe. Je retiens mon souffle, me sens en osmose avec l’univers dans cet instant fugace où une émotion intense me laisse interdite, sans voix. Il faudrait que je trouve des mots pour parler de la beauté de cet anneau d’or.
La chanson de Charles Trenet « Le soleil a rendez-vous avec la lune » me chuchote quelques images sympas et Octave me fait signe pour pianoter ce petit refrain qui prend ses aises et s’installe comme une ritournelle ((https://www.youtube.com/watch?v=xKO7DbqRPAI). Mais cette fois-ci, je résiste, inflexible : je désire tellement parler de ce moment magique de contemplation de l’univers, du ballet de notre étoile avec ses planètes, d’une communion avec je ne sais qui ou quoi.
La chute est là : l’anneau d’or est révélé par la lune.
Faut-il ajouter une phrase comme « A la fin de l’éclipse, la huppe revient, le ciel retrouve ses couleurs, le jardin reprend vie » ou dois-je en rester à la révélation de l’anneau d’or ?
Munie de ce plan, et du dessin annoté, je suis impatiente de reprendre le texte d’origine.
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Brigitte DANIEL ALLEGRO – Castelnau d’Estrétefonds – le 9 juillet 2021