Mon arbre

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Les gribouillis de mon crayon courent sur des bouts de papier. Des courbes truffent mes brouillons. Ramassées, recroquevillées, étirées, en spirales, toutes me parlent. De quelques unes émanent des cambrures de dos, des aquarelles, des tableaux textiles, comme « Peau sur peau ». Des ondulations de brindilles jouent entre elles et créent des « Courbes en mouvement ».

Un jour, à la Caféothèque, alors que je dégustais un café avec une amie barista, des volutes de notes boisées et de fruits rouges s’élevèrent au-dessus de nos tasses et se déposèrent mystérieusement sur mon carnet : l’arôme du café était né, splendide, parfait. Dessiné, peint, teint, brodé, embossé sur du métal, cet arôme brille dans ma cuisine ou se cache dans une chambre.

Quelques jours plus tard, mes crayons, aux couleurs lumineuses, se mettent à dessiner un arbre en majesté, prestigieux. Il est unique. Sa couronne de branches multicolores se détache sur un ciel bleu. Ses racines, visibles, se ramifient dans une zone couleur caramel. Sa sphère opaline, irisée, relie ces deux entrelacs et assure la gymnastique de mes idées, qui se baladent dans la cime ou s’appuient au creux des racines.

Perchée en haut de l’arbre, j’observe.

Les feuilles captent et transmettent les mouvements de l’air (je frissonne)

elles absorbent la lumière (je suis en sécurité, à l’écoute)

la réfléchissent (je suis un éclair).

Les branchages, nourris de mots, donnent naissance à un ballet léger, aérien, à une symphonie décontractée ou pesante qui me rendent sereine, indignée, apaisée.

Sa sphère préserve un pouvoir magique. Elle capte toutes mes idées et me propulse vers sa ramure, vers d’autres sensations. Mes acrobaties, de branches en branches, font bouillonner des images sur l’acte de créer.

Glissée dans le feuillage, les mouvements de l’air (friselis, ondoiement, bruissement), me soufflent une histoire mystérieuse. Les clairs obscurs, à l’ombre d’un branchage en demi teinte m’inspirent une ambiance romantique. A califourchon sur une branche maîtresse, j’accroche la lumière du soleil (clarté, éclat, lueur, rayon, scintillement, embrasement, halo). Me voilà partie dans une aventure en voilier.

Ça marche à tous les coups.

Je me hisse tout en haut et perçois le pitch dans sa totalité.

« L’inspiration, c’est un parcours dans mon arbre, où les mots reflètent des angoisses ou des rêveries. L’arbre bourgeonne, donne des fruits, se pare de mille couleurs et me renvoie à des beautés singulières, des sensations, des étonnements. L’hiver, la sève enfouie dans ses racines, quand plus rien ne circule, est une vision que j’occulte. »

Je saute alors sur la branche où je discerne les différentes influences dans l’acte de créer. Une tige me dit d’aller voir du côté des auteurs où j’ai retrouvé, pour l’occasion, le livre de Delphine de Vigan, D’après une histoire vraie, que je ne relis pas, faute de temps.

Un autre rameau me fait signe d’investiguer sur les symboles: l’arbre, bien évidemment. Un petit tour sur la symbolique de l’arbre, oui, bof ! Je reste en symbiose avec mon arbre multicolore, que je chéris.

Je saute, comme un singe, sur la grosse branche du plan de mon histoire. Là, un nouveau rameau émerge, le premier jaillissement de mon imagination. Le lendemain, je m’en saisis, l’ébarbe, le dégrossis puis jours après jours je le lime, le polis, le lustre. Le plan se raffine : au bureau, un coup de fil, une tuile mi-figue mi-raisin dans la famille, tout finit bien.

Confortablement installée dans l’enchevêtrement des racines, je m’imprègne de l’ambiance de terre et d’humus où je perçois d’autres germes de l’histoire qui sort de terre. J’explore plus intimement les radicelles et découvre de jeunes pousses, personnages qui cherchent à se hisser au rang de héros (Madame le proviseur? Une tarte à la crème? Des témoins? Qui sera le protagoniste?).

Mon arbre opère une alchimie surprenante en entrelaçant les branches et les racines. Il me surprend, m’enchante, me fascine par son soutien sans faille, sa stabilité, sa puissance.

Malheureusement, le vendredi 13 août 2021, mon arbre totem, que je déplaçais, au gré de ma fantaisie, palpant à volonté les bourgeons, les feuilles et les branches, a malheureusement été amputé. Je me suis rendu compte, ce jour-là, que mon merveilleux arbre siégeait dans mon cerveau. La disparition d’une simple brindille a mis à nu l’atrophie, l’inertie, la perte de repères, la stérilité des idées, la perte d’attention, la diminution drastique de concentration. Ce que j’imaginais comme un cauchemar dans ma vision de la création, je le vis douloureusement aujourd’hui. Ne plus arriver à grimper dans la ramure de mon bel arbre, rester appuyée à son tronc, sans accrocher la moindre feuille-sensation, la moindre branche-ambiance, est éprouvant.

Aujourd’hui, je lis et relis encore la symbologie de l’arbre, qui prend tout son sens:

l’arbre, c’est la vie, en perpétuelle évolution.

De nouveaux branchages noircissent maladroitement des bouts de papier, cherchent à intégrer cette amputation. J’essaie de déceler de petits bourgeons, ne sachant pas encore quelles branches se développeront sur cet arbre blessé, avec qui je compose, maintenant.

Une nouvelle silhouette jaillira, haute en couleurs, délibérément harmonieuse, un jour.

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Brigitte DANIEL ALLEGRO

Castelnau d’Estrétefonds, le 10 février 2022

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