Dialogues entre Dédale et Icare – Un rêve en fusion

Temps de lecture : 4 minutes

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Minos avait condamné à l’exil Dédale l’ingénieux, pour avoir favorisé les amours coupables de Pasiphaé, sa femme, avec le superbe taureau blanc sorti de la mer. Dédale purgeait sa peine sur une petite île, avec son inséparable fils Icare. Il cherchait un moyen pour s’évader de ce bagne. Un jour, alors qu’il observait les oiseaux, il appela son fils :

– Viens, Icare, viens regarder ces oiseaux ! observe-les voler ! tu vois comme ils plongent ! et là, tiens, celui-ci décolle, dit Dédale en pointant du doigt un héron. Regarde comme il s’élève lentement dans l’air.

– Oui, et alors ? fit Icare, levant la tête vers son père, chacune de ses mains questionnant d’un geste subtil.

– Devine, fiston ! on va les mimer ! oui, je te l’assure, toi et moi, on deviendra des hommes-oiseaux ; on ira où on voudra ! si Minos nous ferme les chemins de la terre et des ondes, le ciel nous reste ouvert, non ? ajouta-t-il, excité par cette idée insolite.

– Mais on n’a pas d’ailes, Père ! rétorqua Icare, en agitant ses mains, coudes collés au corps.

– Justement, on va les fabriquer ensemble, dit-il en faisant de grands mouvements avec ses bras. On volera comme ces aigles. Dédale, les bras écartés, penché du côté gauche, faisait comme un virage en piaillant comme un oiseau.

Icare, admiratif des inventions de son père, était fier de pouvoir participer, cette fois-ci, à cette nouvelle trouvaille. Pendant leur veillée, ils échafaudèrent des tas de plans.Dès le lendemain matin :

– Icare, fais le tour de l’île et ramène des plumes de toutes sortes, demanda Dédale, sérieux, le regard absorbé par ses projets d’ailes. Pendant ce temps, je dessinerai sur le sable mes idées et, à ton retour, on avisera de la suite.

Revenu, haletant de son expédition, Icare commente :

– Voilà, Père, j’ai trouvé des plumes de vautours, d’aigles, de flamants roses et d’aigrettes. J’ai aussi ramené du duvet de plumes, on ne sait jamais !

– Parfait, fiston ! tiens, regarde ces dessins ! fit Dédale, en désignant d’un geste grandiose le fruit de ses cogitations.

– Comme elles paraissent immenses, tes ailes ! s’étonna Icare.

– Il faut bien ça ! elles s’appuieront sur le corps entier, dit-il en s’allongeant sur le sable, entre une paire d’ailes. On les fixera à nos bras, là et là, et on les prolongera pour avoir une grande surface, comme une voile de bateau.

– Père, tu es franchement drôle ! il ne te manque plus qu’un bec ! se moqua Icare.

– Maintenant, fiston, va du côté des ruches, dans le petit maquis, et ramène de la cire d’abeille. ! j’ai une petite idée que je t’expliquerai plus tard, ordonna Dédale, un demi sourire au lèvre, l’index tapotant sa tempe.

Dédale choisit chaque plume, jugea de sa forme, de sa courbure, de sa texture et de sa brillance puis la posa sur le dessin, tracé sur le sable. La première paire d’ailes fut assemblée avec de la cire. On était au petit matin du premier essai de décollage de Dédale. Il courut de plus en plus vite, pieds-nus sur le sable.

– Père, Père ! tu y es presque ! ça y est, tu décolles ! comme tu es superbe ! s’extasia Icare, au comble de la joie.

Icare, subjugué, ne quitta pas son père des yeux jusqu’à ce que Dédale atterrisse en douceur sur la plage, entouré d’oiseaux.

– Père, tu es l’oiseau le plus admirable que je connaisse ! dit Icare, en se blottissant contre la poitrine de son père.

Ensemble, ils fabriquèrent la deuxième paire d’ailes.

– Ecoute-moi bien maintenant, fiston ! tu me suivras TOUT LE TEMPS recommanda Dédale, en détachant chaque mot. Nous survolerons la mer pour atteindre une île habitée. Ce sera long. Ne vole ni au ras des flots, pour ne pas alourdir tes plumes, ni trop haut, le soleil ferait fondre la cire de tes ailes. Promis ?

– Ne t’inquiète pas, Père, jura Icare, la tête déjà attirée par ce ciel si pur, si bleu.

Au petit matin, Dédale ajusta les ailes de son fils puis les siennes. Il embrassa Icare et décolla, ému. Son fils décolla à sa suite et prit de l’altitude, lui aussi. Dédale se retournait fréquemment pour surveiller Icare, resplendissant, divin.

– Tiens, des oiseaux curieux, viennent m’apprendre à voler ! super ! cria Icare à son père. Je n’ai qu’à les imiter.

– Bravo, fiston ! encouragea Dédale. Je reste devant toi. Continue à me suivre !

– Regarde, père, l’oiseau qui est passé devant moi, me tire, me fait accélérer et maintenant, clac, il ralentit, dit Icare, un peu essoufflé.

– C’est bien, fiston ! profites-en pour reprendre ton souffle, répondit Dédale, qui faisait lui-même de grandes inspirations régulières, tout en s’élevant peu à peu. Respire calmement !

– Que se passe-t-il maintenant ? voilà un autre qui reprend la première place ! waouh ! hurla Icare. On descend à toute allure, on remonte, on fait des boucles ! Incroyables, ces figures célestes! Père, viens essayer.

– Attention, Icare, tu n’es pas un oiseau, ne te laisse pas embarquer dans ces acrobaties, cria Dédale à son fils, qui ne l’entendait déjà plus.

– Père, c’est tellement grisant ! je sens tous les filets d’air sur mon visage, quel bonheur ! oups ! on pique et on s’élève tous ensemble, on monte, droit vers le soleil ! s’égosillait Icare, envoûté.

– Mais Icare, que fais-tu ? tu es fou ! tu as perdu la tête ! tu vas droit vers la flamme du soleil !

cria Dédale en voyant son fils se dresser en chandelle avec les trois autres oiseaux !

– Père ! père ! hurla Icare, en s’apercevant que ses plumes se détachaient une à une, tourbillonnaient autour de lui.

– Icare, mon fils, mon fils chéri, je ne peux te rattraper, tu tombes comme un caillou, gémit Dédale, impuissant, en larmes.

Icare s’engloutit dans les flots, entouré de plumes d’aigles, de flamants roses et d’aigrettes.

Le cœur déchiré, Dédale se laissa planer. Les airs l’ont porté, jours et nuits, et l’ont déposé en Sicile.

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Brigitte DANIEL ALLEGRO

Castelnau d’Estrétefonds – le 3 avril 2022

L’huile essentielle, une sainte huile !

Temps de lecture : 3 minutes

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Mado, veuve d’une quarantaine d’années, élevait seule, depuis plus de quinze ans, son fils unique Jacques. Pharmacienne passionnée par son métier, elle avait l’art de révéler la quintessence des plantes sous forme de mélanges à infuser, de sirops, de gélules ou d’huiles essentielles. Elle stimulait chez ses clients, leur bien-être, calmait leurs angoisses, améliorait leur digestion ou leur respiration. Jalouse de son savoir, elle accumulait dans son arrière-boutique des classeurs qui consignaient les dosages et les vertus de ses assemblages.

Jacques, nourri au langage des plantes, avait développé au fil des ans, une phobie par rapport aux huiles essentielles. Pour lui, elles se résumaient à « je soigne ET je suis un poison en devenir ». Il était devenu un adolescent émotif, hypersensible, qui s’inquiétait d’un rien. Récemment, il tomba par hasard, sur un bout de papier où sa mère décrivait une huile essentielle qui aidait les vieux à mourir paisiblement. Il en fut tellement secoué, qu’il ne vit plus dans sa mère qu’une empoisonneuse redoutable. Leurs relations se dégradaient au fil des semaines.

Mado en avait ras-le-bol de ce fils qui traînait un mal-être nonchalant, insondable.

Depuis peu, elle avait pris l’habitude de se confesser. Dans l’isoloir du confessionnal, elle tenait à son rituel rigoureux, appliqué dans cet ordre : s’agenouiller sur le banc étroit, coller les coudes au corps, bien joindre les mains, pencher la tête, menton collé à la poitrine, fermer les yeux. Un long rideau préservait l’intimité de l’isoloir. Séparée du prêtre par une grille en bois, elle ne voyait que son profil. Chuchoter dans l’obscurité, ouvrir son cœur, mettre à nu sa vie, engager un bavardage pénitentiel lui procurait un bonheur étrange et merveilleux, différent de sa passion pour les plantes. Cet examen de conscience l’amenait à prendre du recul sur sa vie. Elle se prenait à imaginer un avenir moins routinier que celui qu’elle menait depuis quinze ans, entre son fils et la pharmacie.

L’ombre de son amant prenait de plus en plus de place dans ses confessions.

Elle le hantait, elle la rassurait.

A la fin de cette journée caniculaire, elle se dirigea vers l’église, comme à son habitude. Le prêtre accueillit en silence les paroles de la veuve qui avoua avoir accommodé quelques huiles essentielles pour des patients, en phases terminales. Et si elle en donnait à son fils ? Elle se repentit sincèrement dans la pénombre du confessionnal et obtint l’absolution.

Rentrée à la maison, elle se sentait légère, déchargée de ses fautes et alla directement à la cuisine préparer le dîner. Elle repensait à sa confession : Jacques entravait sa voie, sa vie; il occultait un avenir rayonnant. L’envie de meurtre l’enflamma.

Elle saisit son téléphone et envoya un SMS à son amant :

« La prochaine victime de mes huiles sera Jacques. »

Son fils reçut ce SMS troublant. Il y avait une erreur de destinataire mais, ce qui était certain, c’est qu’il provenait de sa mère. Qui était ce Jacques qu’elle mentionnait ?

Quand son fils entra dans la cuisine, Mado leva les yeux vers Jacques et se figea.

– Qu’as-tu donc, mon petit Jacques ? lui dit-elle. Tu es si pâle ! Tu souffres ? Comme tu me regardes mon cher trésor, mon grand enfant !

Elle l’enlaça amoureusement, lui caressant longuement le dos.

– Tu es vraiment très pâle ! tu ne dis rien ! va te reposer dans ta chambre pendant que je finis le repas, lui recommanda-t-elle, en chatouillant son menton. Je t’apporterai le dîner au lit. Prends bien ta température ! Si tu as de la fièvre, je te préparerai une huile essentielle pour te requinquer.

Jacques n’eut pas le temps d’atteindre sa chambre : il s’écroula sur place.

Mado envoya un SMS à son amant.

En jean et pull à col roulé, le séducteur fut là en moins de deux.

Délivré de sa soutane, il administra le sacrement d’extrême-onction en appliquant des Huiles Saintes sur le front de Jacques, avant que ce dernier ne poussât son dernier soupir.

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Brigitte DANIEL ALLEGRO

Castelnau d’Estrétefonds – le 14 avril 2022