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Minos avait condamné à l’exil Dédale l’ingénieux, pour avoir favorisé les amours coupables de Pasiphaé, sa femme, avec le superbe taureau blanc sorti de la mer. Dédale purgeait sa peine sur une petite île, avec son inséparable fils Icare. Il cherchait un moyen pour s’évader de ce bagne. Un jour, alors qu’il observait les oiseaux, il appela son fils :
– Viens, Icare, viens regarder ces oiseaux ! observe-les voler ! tu vois comme ils plongent ! et là, tiens, celui-ci décolle, dit Dédale en pointant du doigt un héron. Regarde comme il s’élève lentement dans l’air.
– Oui, et alors ? fit Icare, levant la tête vers son père, chacune de ses mains questionnant d’un geste subtil.
– Devine, fiston ! on va les mimer ! oui, je te l’assure, toi et moi, on deviendra des hommes-oiseaux ; on ira où on voudra ! si Minos nous ferme les chemins de la terre et des ondes, le ciel nous reste ouvert, non ? ajouta-t-il, excité par cette idée insolite.
– Mais on n’a pas d’ailes, Père ! rétorqua Icare, en agitant ses mains, coudes collés au corps.
– Justement, on va les fabriquer ensemble, dit-il en faisant de grands mouvements avec ses bras. On volera comme ces aigles. Dédale, les bras écartés, penché du côté gauche, faisait comme un virage en piaillant comme un oiseau.
Icare, admiratif des inventions de son père, était fier de pouvoir participer, cette fois-ci, à cette nouvelle trouvaille. Pendant leur veillée, ils échafaudèrent des tas de plans.Dès le lendemain matin :
– Icare, fais le tour de l’île et ramène des plumes de toutes sortes, demanda Dédale, sérieux, le regard absorbé par ses projets d’ailes. Pendant ce temps, je dessinerai sur le sable mes idées et, à ton retour, on avisera de la suite.
Revenu, haletant de son expédition, Icare commente :
– Voilà, Père, j’ai trouvé des plumes de vautours, d’aigles, de flamants roses et d’aigrettes. J’ai aussi ramené du duvet de plumes, on ne sait jamais !
– Parfait, fiston ! tiens, regarde ces dessins ! fit Dédale, en désignant d’un geste grandiose le fruit de ses cogitations.
– Comme elles paraissent immenses, tes ailes ! s’étonna Icare.
– Il faut bien ça ! elles s’appuieront sur le corps entier, dit-il en s’allongeant sur le sable, entre une paire d’ailes. On les fixera à nos bras, là et là, et on les prolongera pour avoir une grande surface, comme une voile de bateau.
– Père, tu es franchement drôle ! il ne te manque plus qu’un bec ! se moqua Icare.
– Maintenant, fiston, va du côté des ruches, dans le petit maquis, et ramène de la cire d’abeille. ! j’ai une petite idée que je t’expliquerai plus tard, ordonna Dédale, un demi sourire au lèvre, l’index tapotant sa tempe.
Dédale choisit chaque plume, jugea de sa forme, de sa courbure, de sa texture et de sa brillance puis la posa sur le dessin, tracé sur le sable. La première paire d’ailes fut assemblée avec de la cire. On était au petit matin du premier essai de décollage de Dédale. Il courut de plus en plus vite, pieds-nus sur le sable.
– Père, Père ! tu y es presque ! ça y est, tu décolles ! comme tu es superbe ! s’extasia Icare, au comble de la joie.
Icare, subjugué, ne quitta pas son père des yeux jusqu’à ce que Dédale atterrisse en douceur sur la plage, entouré d’oiseaux.
– Père, tu es l’oiseau le plus admirable que je connaisse ! dit Icare, en se blottissant contre la poitrine de son père.
Ensemble, ils fabriquèrent la deuxième paire d’ailes.
– Ecoute-moi bien maintenant, fiston ! tu me suivras TOUT LE TEMPS recommanda Dédale, en détachant chaque mot. Nous survolerons la mer pour atteindre une île habitée. Ce sera long. Ne vole ni au ras des flots, pour ne pas alourdir tes plumes, ni trop haut, le soleil ferait fondre la cire de tes ailes. Promis ?
– Ne t’inquiète pas, Père, jura Icare, la tête déjà attirée par ce ciel si pur, si bleu.
Au petit matin, Dédale ajusta les ailes de son fils puis les siennes. Il embrassa Icare et décolla, ému. Son fils décolla à sa suite et prit de l’altitude, lui aussi. Dédale se retournait fréquemment pour surveiller Icare, resplendissant, divin.
– Tiens, des oiseaux curieux, viennent m’apprendre à voler ! super ! cria Icare à son père. Je n’ai qu’à les imiter.
– Bravo, fiston ! encouragea Dédale. Je reste devant toi. Continue à me suivre !
– Regarde, père, l’oiseau qui est passé devant moi, me tire, me fait accélérer et maintenant, clac, il ralentit, dit Icare, un peu essoufflé.
– C’est bien, fiston ! profites-en pour reprendre ton souffle, répondit Dédale, qui faisait lui-même de grandes inspirations régulières, tout en s’élevant peu à peu. Respire calmement !
– Que se passe-t-il maintenant ? voilà un autre qui reprend la première place ! waouh ! hurla Icare. On descend à toute allure, on remonte, on fait des boucles ! Incroyables, ces figures célestes! Père, viens essayer.
– Attention, Icare, tu n’es pas un oiseau, ne te laisse pas embarquer dans ces acrobaties, cria Dédale à son fils, qui ne l’entendait déjà plus.
– Père, c’est tellement grisant ! je sens tous les filets d’air sur mon visage, quel bonheur ! oups ! on pique et on s’élève tous ensemble, on monte, droit vers le soleil ! s’égosillait Icare, envoûté.
– Mais Icare, que fais-tu ? tu es fou ! tu as perdu la tête ! tu vas droit vers la flamme du soleil !
cria Dédale en voyant son fils se dresser en chandelle avec les trois autres oiseaux !
– Père ! père ! hurla Icare, en s’apercevant que ses plumes se détachaient une à une, tourbillonnaient autour de lui.
– Icare, mon fils, mon fils chéri, je ne peux te rattraper, tu tombes comme un caillou, gémit Dédale, impuissant, en larmes.
Icare s’engloutit dans les flots, entouré de plumes d’aigles, de flamants roses et d’aigrettes.
Le cœur déchiré, Dédale se laissa planer. Les airs l’ont porté, jours et nuits, et l’ont déposé en Sicile.
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Brigitte DANIEL ALLEGRO
Castelnau d’Estrétefonds – le 3 avril 2022