Le combat des bestioles

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Mathilde est une fille de la campagne. Le jardin et ses petites bestioles composent son terrain de jeu et son lieu d’observation. D’ailleurs, quand elle sera grande, elle s’imagine éthologue, un mot bizarre qu’elle a retenu quand une dame est venue en classe expliquer son métier passionnant, autour du comportement des animaux.

Mathilde a un goût visible pour les expériences.

L’autre jour, elle a coupé la queue d’un lézard avec son canif, d’un coup bref. Trop drôle ! Le bout de queue frétillait dans tous les sens. Hypnotisée par les acrobaties saugrenues de cet appendice verdâtre, la gamine a bêtement laissé filer l’autre partie du lézard. Dommage !

Hier, elle a attrapé un canard dans la mare, à côté de la grange, et lui a coupé un bout d’aile. Les cris déchirants du colvert, ses « heinh, heinh, … » nasillards provoquaient chez la mouflette une joie capricieuse, un plaisir pervers. Le pauvre oiseau, relâché dans la mare, ne pouvait plus voler. Quand le canard tentait de s’élever de l’eau, il basculait systématiquement sur le côté meurtri, en couinant. C’en était burlesque !

Ce matin, Mathilde se prépare à observer le déjeuner d’une coccinelle ; pas dans le jardin mais dans sa chambre. Elle installe sous une cloche en verre une coccinelle avec son mets préféré, une colonie de pucerons, agglutinés sur une gousse de fève. Elle attend, impatiente, la scène de chasse de la prédatrice, persuadée que la présence de pucerons aiguisera la faim de la petite bête rouge à pois noirs.

Mais rien ne se passe.

La coccinelle reste immobile. Pire, elle regarde à l’extérieur de la cloche, dans la lune. La gamine examine à la loupe les petites bestioles noires, ce mini monde étonnant où s’entremêlent les antennes, en agitation permanente. Qu’est-ce qu’elles peuvent bien se raconter ? En tout cas, elles ont de quoi se défendre, ces proies, avec leurs pattes longues et griffues !

La coccinelle reste imperturbable

tandis que les pucerons festoient, ripaillent, se régalent de sève.

La fillette traque le moindre mouvement de menace ou d’intimidation de la coccinelle, ou le début d’une fuite des pucerons.

C’est étrange que les protagonistes s’ignorent à ce point.

Les heures défilent. Il commence à faire sombre dans la chambre. Mathilde allume sa lampe de chevet, impatiente d’assister, enfin, au repas divertissant de ce soir. Ses yeux, rivés sur la cloche de verre, commencent à cligner. Sa vue se trouble. Elle s’endort. La coccinelle s’approche des pucerons. Les pucerons interrompent leur repas et agitent leurs antennes.

En un clin d’œil, les captifs brisent la cloche de verre, se ruent sur l’enfant,

goûtent la sève sucrée des narines, pompent avec vigueur les papilles de la fillette.

Ce nouveau territoire rapetisse, s’amenuise, disparaît.

Plus rien.

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Brigitte DANIEL ALLEGRO

Castelnau d’Estrétefonds – le 14 décembre 2021

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