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Le commissaire Puech est persuadé que les décès, dont parlent les toulousains en ce moment, ne sont pas le fruit du hasard. Il récapitule :
* les victimes sont assises à leur table de travail
* les autopsies ont diagnostiqué une mort subite.
A son bureau, Puech parcourt son courrier. Une lettre attire son attention.
« .../… Monsieur le commissaire,
Je suis le colocataire de Pierre Nogués, décédé il y a 15 jours dans sa chambre, alors qu’il travaillait depuis peu sur le fabliau Trubert. Je me permets de vous faire part des informations dont je dispose. Quand Pierre, chercheur en histoire médiévale, a commencé la lecture de ce livre, je l’entendais s’esclaffer dans sa chambre. Puis, les jours suivants, devenu plus grave, il m’a dit que je devrais le lire, à mon tour, car ce livre recèle, dans un message caché, les clés de la puissance, d’un pouvoir pouvant être mis au service du bien comme du mal. Il m’a fait part de ses inquiétudes : ce livre pourrait être dangereux entre les mains de personnes mal intentionnées. Il était sur le point de décoder le message quand sa vie a été subitement interrompue ».
« Dans ce court roman du XIIIe siècle la narration s’organise autour d’un élément récurrent, le déguisement. En accentuant le caractère invraisemblable entourant l’identité de Trubert, la multiplication des masques soulève de nombreuses questions dont la résolution permet d’approcher le sens profond de la narration. »
– Je ne pensais pas déclencher un tel engouement auprès de mes collègues. Ce livre n’a jamais été réédité et les exemplaires sont rares. Submergé par des demandes sur mon blog, j’ai eu l’idée de faire des fac-similés de mon exemplaire et de les vendre sur ebay. Un petit appoint pour mon salaire de fonctionnaire ! Ce livre, écrit au Moyen Âge, est drôle, burlesque, plein d’éclats, de fureurs comiques, agrémenté de dessins cocasses, de formules magiques, sans tabou ; il est un bon antidote aux temps moroses, raconte Agut au commissaire.
En parallèle, le commissaire rencontre des collègues d’Agut. Personne ne sait vraiment ce qu’il fait en dehors de la fac.
Le lendemain, le rapport de la police scientifique sur les livres, indique que :
* des pages portent des traces du poison, celui qui a provoqué les décès ;
* les prélèvements des empreintes digitales ont identifié le profil génétique d’une seule autre personne, hormis les victimes ;
* les prélèvements d’odeurs corporelles, identifiées par des chiens experts, ont mis en évidence la trace d’une seule personne, associée à celles de chaque victime.
Au cours des deux dernières nuits, deux autres personnes sont décédées. Les recherches avancent.
Puech convoque à nouveau Agut qui lui remet un exemplaire du Trubert.
– Regardez ces visages hilares et puis lisez ce bout de texte si désopilant !
– Agut, parlons du Trubert. Recèle-t-il un message caché ? Détient-il les clés d’un pouvoir ?
– Des formules de poisons et contre-poisons, c’est courant dans les écrits du Moyen Âge. Rien de plus, ici.
– Avez-vous des amis parmi les victimes dont parle la presse, Agut ?
– Juste des relations d’historiens que je ne fréquente pas en dehors de la fac.
Quelques jours plus tard, le rapport scientifique sur le livre a mis en évidence la personne soupçonnée coupable. Puech fait alors arrêter Agut.
Il ne saisit toujours pas le mobile de l’empoisonneur : ambition personnelle, règlement de compte, qu’arrive-t-il à cet homme ? Le mobile reste encore incompréhensible : le côté aigri d’Agut semble être une caractéristique de cet homme, mais ça ne suffit pas.
Puech interroge à nouveau le professeur.
– Agut, vos empreintes se logent sur tous les ouvrages trouvés près des victimes, votre odeur a imprégné chaque livre.
Agut hausse les épaules.
Puech attend, observant l’homme de la cinquantaine blanchissante, chétif, légèrement voûté, frottant ses mains nerveusement l’une contre l’autre. Face à ce mutisme Puech poursuit :
– Connaissez-vous les poisons décrits dans le fabliau ? Sont-ils réellement dangereux ? Pourrait-on les fabriquer aujourd’hui ?
– Non, je ne le pense pas.
Mais en même temps, Puech observe que ses mains se crispent de plus en plus.
– Avez-vous essayé d’en fabriquer ?
– Non, enfin oui, un peu. Mon chat en a fait les frais.
– A quelle page avez-vous mis le poison ?
– Page 39, répond Agut.
Conscient de son aveu, Agut s’effondre et donne sa version.
Ayant des connaissances en chimie, Agut fabrique le poison. C’était tellement jubilatoire d’introduire quelques gouttes de poison sur des enluminures du livre. Devant le nombre croissant de demandes d’achat du fabliau, le professeur qui végétait se sentait tout autre. La gloire lui venait enfin. Il était tout puissant, au point de pouvoir donner la mort.
– Pourquoi cibler ceux qui achètent vos copies ?
– Moi qui, pendant des années n’ait jamais pu obtenir la chaire d’histoire médiévale, cette trouvaille, comme vous le dîtes, ce fabliau Trubert est une reconnaissance dans ce milieu si fermé. Les acheteurs sont des historiens qui m’ont toujours fait de l’ombre. Maintenant, j’en suis débarrassé. Un vrai succès !
Agut pose le doigt sur l’enluminure page 39, le porte à sa bouche et s’écroule.
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Brigitte DANIEL ALLEGRO – Castelnau d’Estrétefonds – 28 septembre 2021